Un outil de formation pour la personne et le lien social : la Danse traditionnelle
Mémoire d’Anne Vidick
La petite silhouette d’Anne Vidick est bien connue dans les milieux de la danse folk. Ex-membre du Cotillon d’Habay et de Trivelin, elle anime actuellement les bals des groupes Carvine et Improglio, elle enseigne dans trois groupes hebdomadaires (à Neufchâteau avec Renaat Van Craenenbroeck, un groupe du 3ème âge à Arlon, des danses nord-américaines à Lottert), elle anime divers ateliers d’enfants et est formatrice dans le cycle « cursus art thérapie » à l’université René Descartes Paris V. Enfin, elle vient de participer une fois de plus à l’organisation d’un réveillon près d’Arlon. Bref elle déborde d’énergie. En septembre 98, elle a réalisé un mémoire dans le cadre d’une licence en politiques et pratiques de formation. Les travaux sur la danse traditionnelle sont chose rare en Belgique, c’était donc l’occasion d’une interview (réalisée par correspondance).
M. Bauduin (interview parue de janvier à mai 2000)
MB: Anne, voudrais-tu te présenter et expliquer comment t’es venue l’idée de réaliser un mémoire sur ce sujet ?
AV: Je danse par plaisir depuis 13 ans. J’anime depuis 4 ans plusieurs groupes réguliers et de nombreux bals, à la demande progressive de différentes personnes, à la faveur de différentes rencontres.
Devant l’obligation de me former à la suite d’une perte d’emploi, j’ai entamé une licence en Sciences de l’Education (Politiques et Pratiques de Formation) à l’UCL-FOPA, Faculté ouverte pour les adultes.
Mise devant l’obligation de réaliser un mémoire, seul le sujet de la danse traditionnelle m’inspirait suffisamment : au-delà du plaisir qu’elle me procurait, cette pratique suscitait en moi un certain nombre de questions, encore difficiles à formuler à l’époque. Notamment, l’intensité des sentiments générés en moi par ce type de danse, et que je constatais chez d »autres personnes : pourquoi étais-je tellement « accro » à cette activité ?
A la lumière du cours d’anthropologie qui avait abordé la notion de fête et de carnaval, j’eus l’intuition que des phénomènes importants étaient en jeu dans la danse … j’y ai vu des liens qui m’ont poussée (non sans mal) à faire des recherches bibliographiques à ce sujet. Oser parler de la danse dans un milieu universitaire a été pour moi à l’époque un acte de courage, à l’idée que je pourrais être mal reçue au nom d’une activité trop souvent teintée de futilité. Il n’en a rien été et j’ai découvert que la danse, loin d’être considérée comme secondaire, était au contraire une expression essentielle de l’humanité, sur laquelle de nombreux chercheurs avaient travaillé.
J’ai alors rencontré un livre qui est devenu primordial pour moi : Quand la danse guérit, de France Schott-Billmann, psychanalyste française, dont j’ai rapidement suivi la formation en danse-thérapie, à Paris. Cette formation m’a amenée à faire de nombreux liens entre la danse à but thérapeutique et la danse traditionnelle. Ils se sont vus confirmés par l’ajout et le croisement de plusieurs lectures : La danse Populaire en Basse-Bretaqne, de J.M. Guilcher, Une société en quête de sens, de J-B. de Foucauld et D. Piveteau, et Chemins de Sagesse, traité du labyrinthe, de J. Attali. Dès lors, j’ai voulu travailler la question de la danse traditionnelle en termes de développement personnel et social.
MB : Quels sont les objectifs que tu poursuivais en réalisant ce mémoire ? (par ex. personnels comme une réflexion approfondie sur la danse, ou collectifs – inciter les danseurs et animateurs à repenser ce qu’ils font, … ?)
AV : Dans un premier temps, l’objectif du mémoire était personnel : découvrir ce qui m’animait profondément dans la danse. Me donner l’occasion de classifier, réfléchir, approfondir les différents processus qui sont en action à l’intérieur de soi et pour le groupe, quand nous dansons ce type danse particulière qu’est la Danse traditionnelle.
Dans un deuxième temps, loin de faire un travail d’historienne ou de technicienne de la Danse traditionnelle que je laisse à d’autres mieux formés et expérimentés que moi, je souhaitais comprendre l’évolution globale de la danse, le passage des sociétés traditionnelles à la société moderne, et les raisons de la transformation des formes de danse au cours de l’histoire européenne.
Dans un troisième temps, la spécificité de ma licence et l’évolution de ma réflexion ont orienté mon travail : il me fallait réfléchir en termes de formation et de société. Cela correspondait à une question naturelle : la conscience de ce que nous vivons en tant que danseurs, nous amène à des questions sur le pouvoir de notre action si nous sommes animateurs, enseignants, formateurs. Si nous avons une conscience plus grande des enjeux que la Danse traditionnelle porte, nous pouvons la pratiquer plus humainement, tenir un langage plus explicite sur son utilité pour la personne et la société.
Finalement, j’ai voulu montrer que la Danse traditionnelle offre une réponse (parmi d’autres possibles bien sùr) valable, un remède face aux aspects difficiles à vivre de notre société – l’individualisme, la solitude, l’exclusion, la performance exacerbée, la compétition, le stress. Une réponse qui a le mérite d’être incarnée et accessible. Qui peut (re)donner du sens et de la conscience à la vie de chacun et de la société. Ainsi la Danse traditionnelle peut retrouver sa triple fonction : un exutoire, une expression et un soutien de vie.
MB : ton travail est divisé en 5 chapitres : présentation de la Danse traditionnelle, apport théorique, méthode de recherche, analyse et perspectives. Peux-tu résumer lapproche’ théorique de la recherche de sens, qui semble être une réponse à l’individualisme croissant ?
AV : Ma réflexion sur la recherche de sens est puisée dans le livre « Une société en quête de sens » de Piveteau et de Foucauld (Ed. Odile Jacob, 1995). Les idées résumées ci-dessous sont forcément réductrices par rapport à la complexité de la réflexion développée par les auteurs et ne reflètent qu’une partie de leur livre. J’ai travaillé sur les chapitres qui pouvaient rejoindre ma réflexion à propos de la Danse traditionnelle. En voici quelques idées essentielles.
La cohésion sociale pré-industrielle basée sur une vision du monde commune, sur des rituels et obligations sociales, a disparu.
Nous vivons une époque marquée par l’individualisme, la compétitivité, la sélectivité, l’exclusivité, … et l’exclusion pour celui qui se retrouve hors course : le lien social fonctionne selon la loi du marché économique.
L’individu s’est débarrassé de la contrainte sociale. Il a gagné la liberté et l’autonomie. Mais aussi il a perdu la sécurité et le soutien que procurait l’entourage social de jadis. Cette situation oblige l’individu à recomposer ses liens sociaux « à la carte », selon ses affinités. L’individu n’est plus contraint dans un jeu d’appartenance et d’obligations sociales, mais il est aussi plus fragile et plus solitaire parce que son cadre relationnel se découpe en portions. Il est privé du cercle d’entourage de jadis qui était aussi une sécurité et un soutien dans les circonstances difficiles. Le lien social se morcelle.
La crise du lien social, c’est son manque d’inscription dans un espace relationnel complet qui se déploie autour de chacun : « l’entourage » de jadis, càd l’espace qui rassemble tous ceux avec lesquels se noue, de manière formelle ou informelle, et avec une fidélité tacite, un échange personnel; càd ceux qui nous connaissent comme une personne, sous plusieurs facettes; càd la cadre de la co-responsabilité qui donne à notre vie une part de son sens et soutient les moments les plus durs et dont on n’est jamais exclu. Ce cadre existe encore dans la famille, dans les vies de village ou de quartie et aussi dans les « milieux associatifs dont on est membre, à condition que l’adhésion ne se borne pas au paiement d’une cotisation et au bénéfice d’avantages dont on profiterait en solitaire : autrement dit, à condition que la participation se traduise par un véritable engagement relationnel. »
Notre société fonctionne sur le principe du « vente-achat », qui clôt rapidement la relation et fractionne le lien social. Il s’est substitué à la logique du don qui présidait aux relations des sociétés pré-industrielles : le « donner-recevoir-rendre », mouvement perpétuel d’un échange jamais clos, stabilisateur du lien social.
Nous ne sommes plus dans l’obligation du « vivre ensemble ». Devant le conflit et la peur du « face-à-face » et du « côte-à-côte », nous réagissons par la politique de la rupture, de la défection, et nous aboutissons à la perte du « vis-à-vis », à l’individualisme, à la solitude. Nous ne pratiquons plus la politique du « plus ou moins », de la négociation qui nous permettrait de sauvegarder l’essentiel.
Notre société devrait reconstruire de l’entourage pour chacun, retravailler le lien social càd « concilier la liberté et l’autonomie de la personne avec les règles concrètes de responsabilité et de solidarité avec autrui, .. condition de la reconstruction de la cohésion sociale. »
Dans cette perte de l’entourage de jadis, porteur d’identité pour ses membres, nous vivons une « crispation croissante » sur le travail comme source de sens, pour donner du sens à l’existence : il apporte considération et relations sociales, sécurité psychologique et matérielle.
La fin des grands systèmes de sens pré-industriels (politique, syndicats, religions) et industriels (progrès, communisme) conduit à la recherche solitaire de sens de la société postindustrielle : le sens est devenu un « libre-service », flexible et précaire.
Notre société devrait travailler à la fois sur l’économique, le lien social et le sens : diversifier les sources de sens et d’identité dans la recherche et la pulsion créatrice.
Les choix de notre société devraient nous conduire à consacrer un plus grand volume de moyens aux activités de service, à la recherche de la qualité et des biens de développement personnel, càd aux contacts humains de préférence aux objets. Pour cela il faut privilégier le partage du temps de travail et la revalorisation du non-travail.
La croissance a permis le développement économique et social, la nécessaire recherche des biens matériels. Actuellement, une nouvelle orientation de la croissance est nécessaire : le développement de la personne, la recherche des biens non-matériels et le développement des relations de service.
« Le moment est ainsi venu de donner une nouvelle ambition à la démocratie : combattre pour le sens, mais dans une acceptation nouvelle, qui n’est pas celle du sens collectif et uniforme d’une idéologie. La société démocratique est le lieu d’une quête de sens, menée à la fois en commun et par chacun séparément. La finalité de la démocratie, c’est que chacun soit en mesure de donner le sens qui convient à sa vie, et que ce travail pluriel, mené ensemble, enrichisse le contenu de sens que la société se donne à elle-même. » (Une société en quête de sens, op. cit., p. 137.)
Devant la triple crise de l’emploi, du lien social et du sens, un rééquilibrage de la société passe une nouvelle hiérarchie des valeurs et une priorité à la vie sociale. Cette démarche peut être aidée par le travail des 4 pôles de l’échange, dans toutes les sphères de notre fonctionnement interpersonnel, politique et social : l’initiative, la coopération, le conflit et la contrainte. Trop souvent dans nos organisations privées comme publiques, les dysfonctionnements se produisent par la carence simultanée d’un ou plusieurs de ces pôles : il serait nécessaire de focaliser notre attention sur le travail de chacun de ces aspects. Càd écouter et discuter en commun chaque pôle de l’échange, pour chaque partenaire, afin de résoudre nos conflits non par la rupture qui nous conduit à la solitude, mais par l’écoute èt l’échange qui peuvent nous conduire à la construction d’un projet commun. Une démarche à renouveler sans cesse.
Les acteurs de sens et les petits surgissements de sens
Pour travailler au développement des valeurs décrites ci-dessus, il est important que se manifestent des acteurs sociaux « éthiques » : des « acteurs de sens », porteurs de « petits surgissements » discrets, projets sociaux, culturels ou caritatifs, recréateurs d’un développement alternatif et multiforme pouvant influencer le système global. Ils travaillent à la « production de sens », qui est aussi « production de soi ».
Le but du développement c’est celui de la personne : dans son être et sa vérité, autant que dans son avoir et ses biens, afin que chacun puisse accéder au statut de personne, à son identité, à une place dans la société.
Ces petites initiatives de sens accordent leur priorité à la qualité de la vie sociale, à la valeur du non-travail et aux activités de service.
Le rapport avec la Danse traditionnelle
On peut facilement faire des liens entre cette forme de pensée et la Danse traditionnelle. Celle-ci n’est pas seulement un divertissement, elle est aussi une pratique qui a du sens. On peut la voir comme un de ces petits surgissements de sens susceptible d’influencer le système global. Elle propose une alternative à la solitude et à l’indivitualisme, elle véhicule des valeurs d’échange, elle reconstruit des lieux de rencontre et d’entourage, des lieux d’enracinement. Elle travaille à la croissance de l’identité des individus non liée au travail professionnel. Elle est une activité de service et s’inscrit dans la logique du don, par des relations générées dans un mouvement perpétuel d’apprentissage, d’entraide, de coopération entre les pratiquants de cet art populaire. Également par une (parfois relative) volonté de faire découvrir et apprécier ailleurs cette pratique et son esprit, et de créer ainsi des liens humains plus étendus. Elle collabore ainsi au développement de la personne et à notre équilibre social.
MB : La danse représente aussi un « outil significatif du développement de la personne humaine » : peux-tu expliquer ? (développement physique, mental, psychique, social … )
AV : Je répondrai à cette question en trois phases : le rappel des aspects visibles de la danse. Les témoignages des danseurs. Une approche théorique du phénomène de la danse : une explication des mécanismes actifs dans l’intimité de la personne.
Je pense qu’il est utile de rappeler ici quelques aspects extérieurs visibles particuliers de la Danse traditionnelle, que nous connaissons tous sans pour autant en être toujours conscients. Par exemple, l’organisation collective de la danse, qui fonctionne souvent dans le changement des partenaires. La primauté du mouvement vif et joyeux. Le toucher immédiat de l’autre, même s’il est inconnu, dans le cadre autorisé de la danse et sous le regard de tous. La codification de la danse éprouvée par les générations antérieures : elle nous demande une réalisation précise dictée par une tradition qui nous relie à nos racines universelles. L’aspect ludique et l’esprit d’enfance de ces danses qui sont comme des jeux. La fête simple et conviviale. La répétition et l’alternance des mêmes mouvements et séquences qui nous sécurise et nous équilibre. L’absence de compétition et de performance qui donne l’autorisation à l’erreur : ces caractéristiques fonctionnent dans les groupes orientés vers l’animation, moins dans les groupes à vocation de spectacle, compte tenu de la sensibilité de chaque danseur par rapport à ces deux situations. Un répertoire suffisamment large, accessible à toutes les générations et à tous les âges de la vie. Une ouverture par le corps à d’autres cultures. La Danse traditionnelle représente aussi un art populaire vécu, musical, dansé et chanté. Autres détails pratiques non sans importance à notre époque : une amplitude sonore mesurée, des lieux et milieux sécurisants, sans violence et sans excès.
Les témoignages. Les effets de la Danse traditionnelle pour les pratiquants sont nombreux et ils en témoignent dans les interviews que j’ai réalisés, dont voici un bref aperçu :
Vient en premier l’idée du lien interpersonnel et social : l’aspect communautaire de la danse, la convivialité, la rencontre et la communication possible avec tous sans exclusion, grâce à l’accessibilité et la simplicité de la danse. On relève son aspect interculturel, sa variété et la coexistence des générations. Pour certains, ce type de danse fait revivre « l’esprit de la fête de village », et représente une contestation face à une société trop individualiste et orientée vers le profit, ainsi qu’une reconstruction du groupe et de valeurs autres de reconnaissance de la personne, de solidarité et d’échange.
Ensuite les témoins parlent du développement de la personne : le mieux-être corporel et mental grâce au mouvement, même jusqu’à l’ivresse. On témoigne beaucoup du plaisir et de la joie, par « l’emballage-plaisir » de la danse qui déterminerait son efficacité. Bref, un bien-être général de la personne : la Danse traditionnelle est un anti-stress apportant l’oubli et la sérénité, un décoinçage, un apprentissage au lâcher-prise vers une autre conscience de soi, une prise de confiance, une amélioration de l’ouverture, une baisse des préjugés, une désinhibition. Cette efficacité est attribuée à plusieurs facteurs conjugués : la forme collective de la danse, qui permet la participation, et la règle de la danse, qui structure; le sentiment d’appartenance au groupe et d’y avoir sa place, ainsi que l’absence de performance et de compétition qui donne le droit à l’erreur, dans l’humour.
Les témoins parlent aussi de symbole et de rite. Ils témoignent d’un sentiment de communion, de célébration et de libération. La Danse traditionnelle serait un chemin vers une croissance autre, un ressourcement, un rééquilibrage. Elle représente un contact avec les racines, les « formes issues des origines », un sentiment d’appartenance large. Elle est un accès à la beauté, à l’harmonie, à l’art, par le corps et sans la distance-matière. Elle est une représentation des rapports sexués de la vie et la possibilité de vivre sainement le rapport à l’autre, le toucher, la séduction, dans un cadre autorisé sous le regard de tous.
La Danse traditionnelle est aussi vue comme une éducation. un moyen « de faire grandir pour la vie affective, personnelle, le rapport à l’autre et la vie sociale », à condition « qu’elle ait sa place dans la vie quotidienne et qu’elle soit faite avec d’autres, dans le plaisir et le désir de qualité et l’élévation ».
Une approche théorique du Phénomène de la danse.
Ainsi, que se passe-t-il pour la personne ? L’information qui suit est issue du livre cité plus haut : « Quand la danse guérit », approche anthropologique de la fonction thérapeutique de la danse, par France Schott-Billmann, psychanalyste, docteur en psychologie. Le condensé qui suit ne peut se permettre de donner toute la mesure de la réflexion, je renvoie le lecteur intéressé au livre précité.
La réflexion part de la définition de la santé que propose l’Organisation Mondiale de la Santé (O.M.S.) : un équilibre entre les quatre niveaux de l’homme, le physique, le mental, le psychique et le social.
Au niveau biologique, physique : la danse vise à faire retrouver le plaisir fonctionnel. La danse réactive le système physique et l’utilisation du corps par le jeu et le mouvement donne accès à la conscience de la maîtrise motrice et développe le schéma corporel.
Au niveau mental: par la nécessaire mémorisation et reproduction de la géométrie et des pas, par l’émotion que cette réalisation suscite, la danse développe les capacités de l’intelligence sensori-motrice. Elle développe les trois parties du cerveau : les instincts du cerveau reptilien, les émotions du cerveau limbique, la rationalité du néocortex.
Au niveau psychique : la Danse traditionnelle a un rôle privilégié de relieur, d’unification, de structuration de la personne.
– La restauration de l’unité psycho-corporelle : la danse est un trait d’union entre le dehors et le dedans, d’autant plus que la distance-matière n’existe pas. Elle éveille au-dedans, elle utilise le corps pour signifier et elle exprime au-dehors les mouvements générés par l’émotion.
– La restauration narcissique de l’amour de soi : la danse collabore à positiver l’image du corps. L’être peut y découvrir le sentiment d’un corps unifié lui appartenant, par des mouvements mettant en jeu sa globalité, sous l’influence du regard des autres. D’autre part, l’individu est soutenu par deux facteurs positivants et rassurants : le regard bienveillant de l’animateur et sa pédagogie progressive, qui créent un espace de confort et de sécurité, et le cadre sécurisant de la danse créé par la règle, l’alternance, le redoublement, la répétition symétrique des formes de danse exécutées.
– L’autonomisation. La danse vise la défusion par la conscience de la séparation : un sentiment d’intégrité corporelle et la reconnaissance d’un soi positif capable d’une action demandée. La danse permet un retour sur soi, elle suscite des émotions qui permettent une régression dans le vécu personnel. L’identification au modèle (animateur) est temporaire : le danseur s’éprouve petit à petit différent par une appropriation personnalisée de la gestuelle proposée et donne à voir une authenticité chargée de son propre vécu.
– La réorganisation symbolique corporelle : à travers le mouvement lié à l’émotion, à travers le jeu et le rejeu des mêmes figures, à travers le langage symbolique et la régression que le jeu permet, la danse propose une satisfaction de substitution, un rejeu symbolique, inconscient des situations de vie des danseurs, et ainsi une éventuelle résolution des problématiques souffrantes de chacun. Dans cette ligne, elle propose notamment une représentation déguisée et acceptable du désir et des pulsions, une « transgression déguisée » où le désir peut s’exprimer en accord avec la Loi du groupe.
– La sublimation : la Danse traditionnelle est un art, certes populaire, mais comme tous les arts recherche le Beau par la dérivation de l’énergie vers un but noble et socialement valorisé. Elle permet l’expression des émotions dans un langage artistique corporel : on fait oeuvre d’art avec son corps. L’épuration progressive permet de trouver sa propre beauté du geste : une création de soi par soi, par l’intermédiaire de l’art.
Au niveau social. Ici la réflexion rejoint ce que nous avons dit et y ajoute : la danse relie au groupe et est un facteur de cohésion sociale car elle assure une identité partagée, ancrée dans des valeurs ancestrales, incarnées, léguées sous la forme implicite de la danse.
J.M. Guilcher confirme que la danse constitue un miroir social, elle nous raconte quelque chose de notre histoire proche et lointaine. Elle développe la connaissance et le lien social avec d’autres cultures à travers l’imprégnation par l’intérieur (rythmes, formes, structures, pas, positions corporelles) que constitue la pratique, même imparfaite, des danses étrangères.
Je pense qu’ici on peut conclure en rappelant les fonctions de la danse traditionnelle :
– par rapport à la personne individuelle : une expression d’elle-même, un exutoire en face de la difficulté de vivre, une libération du stress;
– par rapport au groupe : la représentation d’une vie commune et interpersonnelle. Cette danse est à la fois un miroir des sociétés traditionnelles et de leurs valeurs de socialisation, d’enracinement et de solidarité; elle est actuellement aussi un reflet et une expression de la société mondialisée, avec ses choix individuels et ses liens privilégiés;
– par rapport à un au-delà de soi et du groupe : la danse reste, comme au début de l’humanité, un lien intuitif avec des forces qui sont encore méconnues, en-deçà, à côté, en-dessous, au-delà de la personne.
Par rapport à l’expansionnisme, la compétitivité et l’individualisme actuels, la danse traditionnelle nous offre la dimension d’enracinement, de communauté et de proximité conviviale qui nous manque.
MB : Tu as interviewé des danseurs. Combien environ ? Uniquement en Wallonie ? Uniquement membres de groupes de danse ? Bref, comment les as-tu sélectionnés ?
AV : Les personnes interviewées ont été sélectionnées dans l’urgence et selon les possibilités du moment. 18 interviews (minimum 2 h., maximum 7 h.) ont été réalisés en Région Bruxelloise, en Wallonie, Province de Luxembourg, Liège, Namur, et au Grand Duché de Luxembourg. Les interviewé(e)s sont généralement membres de groupes et répartis diversement : danseurs débutants et confirmés, amateurs de longue date ou récents, ados, adultes, seniors, éventuellement touchant ou ayant touché à d’autres disciplines, religieux, laïques, hommes, femmes, familles, célibataires … C’est une première démarche : je souhaitais d’abord entendre le vécu et la réflexion des amateurs de Danse traditionnelle.
Un approfondissement demanderait de croiser ces premiers résultats avec les avis de pratiquants d’autres disciplines, dans la danse, le sport, les arts etc, et issus d’autres régions. Ceci afin de vérifier si on retrouve les mêmes constats dans les autres activités humaines, ou si la Danse traditionnelle génère un vécu et une réflexion spécifiques.
MB : Fais-tu une différence entre les danses wallonnes (danses du terroir ?) et les autres ?
AV : Dans le cadre de mon travail, au niveau du sens profond, il n’y a pas de différence. Les fonctions, les enjeux sont les mêmes. Toute danse traditionnelle est issue d’un terroir, d’une tradition précise, même si les origines sont diluées dans le temps. Les questions-réponses 3 et 4 s’appliquent de la même façon aux danses wallonnes.
Je vois une différence à un autre niveau. Elle n’influence que de loin notre propos puisque nous parlons de sens. Cette différence ne touche pas seulement la danse wallonne, mais les danses qui présentent une plus grande difficulté de réalisation : dans tous les répertoires existent des danses simples et des danses complexes. Celles-ci sont moins vite captables et moins accessibles à tous, moins facilement transmissibles et moins immédiatement utilisables pour la fête, l’animation, la rencontre, Ces danses nécessitent un apprentissage plus prolongé et un effort que chacun n’est pas disposé à faire, quoique certains trouvent justement là leur plaisir.
Nous sommes au siècle de la mondialisation, le monde s’est rétréci par les médias – radio, TV, ordinateur, internet – les gens demandent une ouverture sur le monde, une connaissance et une expérimentation du monde. Pour répondre à ce besoin, certaines danses sont plus communicables ou communicatives que d’autres. Les facteurs conjugués de l’ouverture culturelle et de la facilité d’accès font que certains répertoires sont plus souhaités que d’autres.
Je suis wallonne, et je n’ai découvert la danse trad wallonne que tardivement, voici quelque 12 ans seulement. J’ai été frappée par son caractère extrêmement riche et complexe, par la diversité des pas, des mouvements, des chorégraphies. Je pense qu’elle s’explique par la diversité des influences vécues par la Wallonie dans son histoire. Je pense que cette richesse de contenu est un atout, par la diversité du jeu qu’elle propose, par le défi, par le plaisir, mais c’est aussi un facteur difficile à gérer : la complexité crée une difficulté non abordable par tous et un stress pour certains. Je pense que la majorité du répertoire wallon n’est pas aisément captable par un public néophyte et demande un certain apprentissage que tout le monde n’est pas disposé à faire. D’autant que notre tradition a subi une fracture : nous devons nous-mêmes réapprendre nos danses.
Je crains donc que la relative difficulté du répertoire wallon n’en fait pas un terrain privilégié pour que puisse s’incarner rapidement et facilement le sens dont nous avons parlé plus haut.
Encore une fois, la discussion n’est pas close entre les spécialistes pour savoir ce qui cause le manque d’accroche à la danse traditionnelle wallonne …
MB : Que des groupes de danse se fassent accompagner par des musiciens ou par des cassettes, cela fait-il une différence ? (par rapport à ton mémoire, bien sûr)
AV : Par rapport au travail du sens, cela ne fait pas absolument de différence : les mêmes phénomènes sont opérants profondément dans l’intimité des personnes. Cependant la musique vivante, si elle est bonne, est beaucoup plus puissante que la musique enregistrée, elle rend l’activité de danse plus authentique. Le bain musical naturel soutient mieux le danseur et le processus qui est à l’oeuvre en lui, il accentue le lien du danseur à la musique par la présence réelle de celle-ci ainsi que de son transmetteur, le musicien. L’expérience globale danse-musique-rythme-mouvement est plus complète. Je pense que la musique vivante, plus porteuse encore en présence d’un orchestre, contribue à activer le processus de socialisation et de bien-être personnel : nous avons tous senti combien une bonne musique bien orchestrée peut nous porter en avant et vers les autres !
Cette question serait cependant à vérifier auprès des pratiquants de la Danse traditionnelle qui ont l’occasion de danser dans les deux situations. J’ai eu quelques échos sur l’intérêt de varier les sources musicales, tantôt en « live », tantôt artificielles.
MB : Comment situer la danse New Age par rapport à ton mémoire ?
AV : Je ne connais pas la danse New Age par la pratique, seulement par ouï-dire et par 1es multiples annonces d’ateliers existants : danse créative, bio-danse, etc … Je pense que ce type de danse recherche le bien-être de la personne, en laissant la place à l’expression personnelle et au contact. Donc, le sens de cette pratique est voisin de la Danse traditionnelle, une partie de la recherche est la même, la dimension explicitement sociale en moins. La pratique semble montrer ces différences : la Danse traditionnelle est une organisation collective, codée selon des impératifs issus des traditions qui nous précèdent et qui nous relient à nos racines. Les danses type New Age semblent plus libres, proposent des formes récentes de danse, plus proches d’une expression personnelle du sentiment momentané du danseur. Trouvent-elle des racines dans les techniques orientales, type yoga ou danse indienne ? Je manque de renseignements à ce sujet.
On revient à la question 5 : la réflexion demande à être approfondie par des renseignements complémentaires, vérifiée auprès des pratiquants, expérimentée soi-même pour sentir les similitudes et différences.
MB : Que dire de la formation d’animateurs (ce qu’elle est et ce qu’elle pourrait être) : il y a beaucoup de répertoires différents, on peut imaginer des « thérapeutes en danse traditionnelle », il y a aussi des gens qui dansent pour s’amuser …
AV : S’amuser est essentiel. Le plaisir est prépondérant dans la danse, le plaisir est formateur, on l’a dit plus haut : il fait partie de la démarche du jeu de l’enfant, où celui-ci peut expérimenter la vie, vivre et revivre ses émotions, « pour du semblant ». Le plaisir doit faire partie de l’apprentissage, de la formation, à tous les âges.
La qualité de la transmission par l’enseignant, et donc le concept de la formation de l’animateur en Danse traditionnelle, touche profondément ceux et celles qui veulent, qui tentent, par conviction ou par passion, ou à la demande de leur entourage, d’être des moteurs, des transmetteurs des valeurs de cette danse, d’insuffler de l’âme dans la pratique de la danse.
Actuellement, la formation d’animateurs s’opère relativement « sur le tas ». On a envie, on est demandé, on se lance, on expérimente, on est plus ou moins bien perçu selon ses qualités techniques ou charismatiques. On suit des stages et éventuellement une formation d’animateur. C’est l’adhésion du public qui confirme, qui reconnaît un animateur comme valable, d’une façon plus ou moins informelle, dans la durée.
Il existe quelques formations d’animateur, j’ai expérimenté une session de 1992 à 1994, à Tournai, sous la direction de Lou Flagel et de Marc Malempré. J’ai apprécié le bagage reçu à l’époque. Depuis, au vu de mes expériences concrètes et de ma recherche théorique, je pense que la fonction d’animateur n’est pas innocente : elle n’est pas seulement celle d’un instructeur, ni d’un metteur en scène, ni d’un organisateur de groupe; elle est porteuse d’un poids humain et de valeurs de vie (cfr questions 3 et 4) qu’il est important de conscientiser et de maîtriser.
Ainsi, j’ai pu ressentir tous les savoirs-faire que j’avais besoin d’acquérir, les différentes voies de connaissance qui me semblent indispensables à un animateur : être capable d’observer, de reconnaître, d’analyser et de décortiquer un pas, de mémoriser et de retransmettre une danse. D’identifier les erreurs chez les danseurs et de les corriger. En amont de l’enseignement proprement dit, il faut travailler plusieurs capacités personnelles : l’expression et la mobilité, le rythme, la reproduction des pas, la chorégraphie d’un plateau (si on pratique du spectacle). Développer une culture de la danse : histoire et ethnologie. Développer une capacité de notation donnée ou personnelle de la danse. Travailler le sens pédagogique nécessaire à toute transmission, càd une progression dans l’enseignement, le diviser en étapes successives et logiques adaptées au public donné, posséder le charisme nécessaire pour capter l’attention de ce public.
Au-delà, si l’on veut développer l’aspect éventuellement thérapeutique de la danse traditionnelle, il est nécessaire de se former plus avant à la psychologie et la pédagogie. C’est une prise de conscience, un état d’esprit qui préside à la pratique de la Danse traditionnelle : la conscience de l’outil que peut représenter la Danse traditionnelle (en référence à tout ce que nous avons dit plus haut), de ce que l’on déclenche chez les personnes à l’intérieur de cette pratique, et du rôle bienveillant de l’animateur : celui-ci est le transmetteur d’un savoir mais aussi un agent facilitateur, le garant du cadre sécurisant et accueillant dans lequel le danseur pourra évoluer.
Dans cette optique, l’existence de la multitude des répertoires différents est un plus : cela permet aux personnes d’expérimenter des façons différentes « d’être au monde », cela procure une ouverture culturelle, une proximité par le vécu corporel, qui est bien nécessaire dans notre monde où nous avons besoin d’être reliés et non séparés.
Ce programme serait susceptible de couvrir un enseignement de jour à temps plein. Il reste à réaliser une analyse des besoins pour vérifier si cela pourrait correspondre à une demande d’un nombre suffisant d’animateurs et de danseurs. Il resterait un problème de taille : trouver et convaincre des décideurs susceptibles de soutenir la démarche et de dégager les crédits nécessaires. Pour cela il faut montrer l’utilité sociale de la Danse traditionnelle. Un travail comme celui-ci entame la réflexion, sera-t-il capable de convaincre plus loin ?….. C’est peut-être un rêve éveillé.
MB : A quelles occasions as-tu déjà débattu de ce mémoire (le café philo à Redu, …) ?
AV : Le débat du café philo « Chez Diogène », à Redu en mai 98 a été jusqu’à présent la seule occasion d’échange à partir de ce mémoire.
Le débat a eu lieu avant la clôture du mémoire et l’occasion s’est révélée intéressante dans l’idée de compléter et recouper le recueil des perceptions des danseurs et danseuses interviewé(e)s, et constater si elles rejoignent le témoignage d’autres personnes concernées ou simplement intéressées par la danse traditionnelle. Là résidait un intérêt de ce débat, c’est-à-dire réunir deux catégories de personnes -. des amateurs, danseurs et animateurs de la danse traditionnelle, et des non-initiés simplement attirés par un débat d’idées sur une pratique humaine.
La question de départ, touffue pour permettre un éclatement selon les possibles préoccupations des participants, était articulée comme suit : « La danse traditionnelle … à quoi ça sert ? Qu’est-ce que cela « remue » en nous ? Quelles valeurs véhicule-t-elle ? Peut-elle représenter un chemin de sens et constituer un micro-outil d’éducation au développement personnel et relationnel des individus, outil constructeur de lien social ? La danse … une façon de philosopher avec le corps, une manière d’action sociale par le corps et la fête ? »
Un extrait du rapport établi par un des participants, danseur lui-même, est reproduit ici (compte-rendu de Jean-Marie Dontaine, paru dans le bulletin de la Régionale du Hainaut de la Dapo, juin 98).
« Danser « trad » procéderait donc, consciemment ou inconsciemment, d’une recherche d’un nouveau contact avec les autres, sous une forme disparue depuis plus ou moins longtemps, selon les régions ou les pays. »
« S’il faut faire la différence entre la « danse-spectacle » et la « danse-plaisir » (en bal), on peut considérer que la démarche reste identique, puisque les danseurs de groupes de spectacle se retrouveront sur les pistes des bals folks. La seule différence résidera souvent dans la qualité de la danse en bal. Puisque la « danse-spectacle » est une école de rigueur (..). »
« Il ne faudrait toutefois pas en conclure qu’il y a deux sortes de danseurs : les bons (ceux du spectacle) et les moins bons (ceux des bals). La motivation de base est différente, en ce sens que les seconds recherchent avant tout le plaisir de la danse (= plaisir de la rencontre). »
« Danser « trad » est donc synonyme de « créer un lien ». Toutefois il est certain que cette création relationnelle sera fonction de l’investissement personnel. Connaître quelques pas de base ou oser se lancer sans connaissance préalable semblent être des pré-requis. Là, si les danseurs folks semblent être conviviaux, ils le sont souvent entre eux … Ce reproche est clairement formulé par des non-danseurs. Cela procède sans doute d’une recherche de la facilité. Danser avec un initié est nettement plus agréable qu’avec un débutant, même de bonne volonté. La démarche de rassemblement doit donc se poursuivre en permanence. Les danseurs folks ont peut-être un mea culpa à faire et une attitude à corriger … Car le bal traditionnel est l’occasion d’apprendre « sur le tas ». Les danses les plus adéquates étant celles dites « à changement de partenaire ». Mais dans ce cas, les « anciens » ont une responsabilité dans la transmission du savoir. »
L’auteur du compte-rendu résume quelques idées spécifiques communiquées lors du débat par l’auteur du présent travail : « Danser « trad » c’est aussi une remise en harmonie avec soi-même. En ce sens que l’acte de danser fait appel au corps tout entier : l’écoute, la vue, le sens de l’orientation, la mémoire des figures, l’inspiration du moment, la souplesse, le contact avec le partenaire, la sensibilité de chaque danseur … Danser, c’est refaire le lien entre le corps et l’âme, c’est renouer avec l’enfant qui est en nous : danser peut être un jeu, au cours duquel nous avons droit à l’erreur. Si nous creusons plus profondément, on s’aperçoit que le phénomène de répétitions des séquences, au cours d’une danse, est sécurisant, que les trajets de danse forment des labyrinthes plus ou moins élaborés, ce qui correspond dans les sociétés primitives à l’image même de la vie. »
« Dans un autre ordre d’idées, on s’aperçoit qu’il y a un a priori défavorable vis-à-vis du terme « folklorique ». Aucun qualificatif ne satisfait entièrement : traditionnel, populaire, d’animation, folk … Si ce dernier semble le plus répandu, il convient de savoir qu’il n’y a pas de lien avec la musique « folk ».
« La danse « trad », contrairement à nombre d’autres formes de loisir, est ouverte à toutes les couches sociales. On y constate, lors d’enquêtes, que d’une part, toutes les professions s’y retrouvent et que, d’autre part, ce « réseau folk » est peu connu. La constante est l’envie de faire partager sa passion afin de (re)créer des liens sociaux et, ainsi, de (re)former une nouvelle fraternité humaine. »
Nous retrouvons donc dans ce débat des correspondances avec la recherche exposée dans ce mémoire. On insiste cependant sur le constat du manque de responsabilité des danseurs dans l’ouverture et la transmission. Le renouvellement de telles rencontres, davantage orientées vers la recherche du sens de la danse, ne contribuerait-il pas à un approfondissement et dès lors une meilleure communication de sa pratique : savoir ce qu’on fait en dansant et le faire dans le plaisir est peut-être la meilleure façon de créer l’adhésion.
MB : Tu évoques des perspectives de recherche ultérieure. Est-ce déjà clair actuellement ? Par ailleurs, quelle suite pourrait-on donner à ton travail : un débat (public ou non) avec des danseurs, une présentation conjointe (avec Eric Limet) à la presse, … ?
AV : Partie 1 : les perspectives de recherches ultérieures, on poursuit ici des idées déjà évoquées plus haut :
– Une interrogation des pratiquants réguliers d’autres disciplines de danse, sport, ou autres loisirs. L’obiectif serait de vérifier si les acquis obtenus par la pratique de la Danse traditionnelle sont spécifiques par rapport à d’autres pratiques. Cela permettrait d’énoncer des arguments de promotion de la Danse traditionnelle, en vue de lui gagner du crédit auprès du grand public et des moyens financiers éventuels pour l’organisation et la formation.
– Si la Danse traditionnelle est porteuse d’enjeux sociaux suffisants au niveau personnel et social, faut-il investir dans la diffusion de la Danse traditionnelle dans le grand public ? Pourquoi ne passe-t-elle pas actuellement la barre du grand public ? Actuellement, la musique celtique connaît une grande diffusion, est-ce temporaire ou le signe d’un essor ?
Est-il possible de passer cette étape, et est-ce souhaitable ? D’après des témoignages, certains préféreraient lui garder son cadre confidentiel actuel … autrement risquerait-elle une perte de son essence ?
En outre, comment ? Que faut-il faire pour faire connaître la Danse traditionnelle ? Les pratiquants actuels semblent comprendre les acquis que la Danse traditionnelle leur procure, mais les amateurs et animateurs de Danse traditionnelle sont-ils assez convaincus et convaincants pour contribuer à sa diffusion par leur exemple, leur motivation, leur passion ? Son attrait est-il suffisamment communicable – et efficace – pour d’autres tranches sociales ?
– Si la Danse traditionnelle porte un progrès social, même à un niveau modeste, existe-t-il suffisamment de partenaires en présence pour travailler ce projet ? Pour structurer la réflexion, susciter la motivation, investir dans un débat pour convaincre les différents acteurs de la valeur de leur rôle ? Et ensuite organiser l’action vers la diffusion, vers la formation ?
– Travailler le rôle de chacune des catégories d’acteurs – d’une part les danseurs comme témoins d’une pratique signifiante, qui essaimeront par un investissement passionné. D’autre part les animateurs-enseignants s’ils sont conscients d’être porteurs d’une transmission capitale pour la personne et la société, et convaincus de poursuivre leur formation. Et enfin les décideurs s’ils obtiennent l’investissement nécessaire à la diffusion de ce type d’activité sociale et à l’organisation-promotion d’une formation valable des danseurs et enseignants.
Partie 2 – Les suites à donner à mon travail.
Je souhaite effectivement que ce travail, au-delà de la clarification personnelle qu’il m’a permise, puisse aussi servir de point d’appui à une réflexion collective, un débat, public ou non, à discuter entre les partenaires possibles … et intéressés. Un gain de conscience, de sens, serait un premier pas. Pour déboucher sur une pratique plus consciente, plus efficace, plus convaincante. Pour essaimer ? Ce qui profite à quelques-uns peut profiter à beaucoup.
Une présentation à la presse … dans un premier temps pour diffuser les acquis et les questions de ce travail et susciter la réflexion. OK peut-être ? Mais cette démarche ne nécessiterait-elle pas une préparation préalable à propos des objectifs ultérieurs possibles ? Informer, susciter la réflexion, la prise de conscience, et dès lors, peut-être, susciter un nouvel intérêt, une participation renouvelée ? OK. Est-il possible d’aller plus loin ? Avant de diffuser les questions et les acquis de ce travail et de la réflexion qui peut s’ensuivre, je pense qu’il faut mesurer l’objectif visé par une présentation-presse. S’il s’agit d’une simple communication d’une recherche, socle de départ d’une réflexion ultérieure, c’est OK. Mais je pense qu’il faut quand même vérifier les effets possibles de la diffusion de cette information et les perspectives ultérieures.
Une présentation conjointe avec d’autres animateurs est possible dans la mesure où ils sont aussi « chercheurs et penseurs de sens » et dans la mesure où les idées convergent relativement. Il faut présenter à la presse un front uni qui peut soutenir la Danse traditionnelle, et non la desservir. Trop souvent, je constate des rivalités et des polémiques entre animateurs : prudence. Différents partenaires, personnes ou livres, comme on l’a vu, sont déterminants dans l’élaboration de mon travail et ma réflexion.
Pour ma part, je souhaite surtout un élargissement des consciences et du sens de la Danse traditionnelle.
TABLE DES MATIÈRES DU MÉMOIRE
Préambule. 4.
Introduction
1. Comment croiser danse et formation 8.
2. Le surgissement des questions et constats 10.
3. Le contexte social actuel 12.
4. La question centrale 16.
5. Le contenu général du mémoire 16.
Chap. 1. La danse traditionnelle dans le temps et dans l’espace
1.1. Essai de définition 21.
1.2. Eclairage historique 25.
1.2.1. L’évolution des formes de danse : miroir de société 26.
1.2.2. Les principales caractéristiques de la danse des sociétés traditionnelles 30.
1.3. Le champ actuel de la danse 34.
1.4. La danse « traditionnelle » aujourd’hui
1.4.1. Description de la pratique 37.
1.4.2. Les caractéristiques 46.
1.4.3. Observations par rapport aux autres pratiques d’expression 48.
1.5. L’apprentissage et la formation en danse traditionnelle 50.
Chap. 2. Apport théorique.
Danse traditionnelle : recherche de sens et formation
2.1. Recherche de sens
2.1.1. Approche par le lien social 53.
2.1.2. Approche par le développement de la personne 63.
2.1 .3. Approche par le symbolisme des formes 65.
2.2. Pédagogie et formation
2.2.1. Le modèle de la motivation de P. Cross 68.
2.2.2. Le modèle des modes d’intervention pédagogique de M. Lesne 69.
2.2.3. Les notions autour d’éducation-formation 71.
2.3. L’hypothèse 75.
Chap. 3. Méthodologie de la recherche
3.1. L’outil 76.
3.2. Les grilles d’analyse 76.
3.3. Le guide d’entretien
3.3.1. La construction du guide d’entretien 77.
3.3.2. L’expérimentation du guide d’entretien 78.
3.3 3. Le guide d’entretien final 79.
3.4. L’échantillonnage 81.
3.5. Les techniques utilisées pour l’analyse
3.5.1. Le tableau récapitulatif 83.
3.5.2. La synthèse littéraire 83.
3.5.3. L’analyse : les liens entre la théorie et les interviews 84.
Chap. 4. Analyse et interprétation
4.1. Présentation du matériau 85.4.1.1. Le tableau récapitulatif 85.4.1.2. Les idées-force des interviews 87.4.2. Analyse en rapport à la recherche de sens4.2.1. Rapport au lien social 90.4.2.2. Rapport au développement de la personne 95.4.2.3. Rapport au symbolisme des formes 100.4.3. Analyse en rapport à la formation4.3.1. Rapport à la motivation 101.4.3.2. Rapport aux modes de travail pédagogique 104.4.3.3. Rapport à l’éducation-formation 106.
Chap. 5. Recul critique et perspectives
5.1. Les difficultés rencontrées 110.
5.2. Les effets personnels 112.
5.3. Des questions et des pistes de travail 113.
5.4. Un premier effet du mémoire 116.
6. Conclusion 119.
7. Bibliographie 125.