Ils ont lancé les bals folk européens à Toronto, et leur second album a été présenté dans le Canard Folk de décembre dernier. John et Emilyn ont fait l’effort de répondre à nos questions en très bon français, bien que les francophones de la province de l’Ontario soient très minoritaires. On les remercie vivement pour leur disponibilité.
Marc Bauduin
Q : Pourriez-vous tous les deux donner un aperçu de votre parcours musical? En particulier, quand et comment avez-vous fait connaissance avec la musique folk ?
Emilyn : J’ai commencé à jouer de la musique quand j’avais huit ans, avec des cours de piano classique. J’habitais à Smithers, un petit village très isolé situé à 14 heures de voiture au nord de Vancouver, dans les montagnes de l’Ouest du Canada.
Mais c’était quand j’avais 13 ans que ma vie a changé – une amie de mon équipe de hockey m’a invitée à une « Family Dance ». Là, j’ai vu The Valley Youth Fiddlers, un orchestre de 80 jeunes violoneux qui jouent de la musique trad, à l’oreille, avec des parents qui les accompagnent à la guitare, au piano, à la mandoline… Et après le concert, tout le monde a dansé des danses carrées, des contredanses, des danses trad écossaises. Après cette soirée, j’ai commencé à jouer avec eux, à les accompagner au piano. De faire partie de cet orchestre m’a donné le goût de commencer à jouer du violon.
Il n’y a pas vraiment une vieille tradition de violon trad dans ma région, mais avec cet orchestre, j’ai appris des mélodies trad des quatre coins du Canada, des États-Unis et du Royaume-Uni. Plus tard, quand j’avais 21 ans, j’ai passé un an aux Pays-Bas, d’où vient ma famille, et où j’avais habité pendant un an et demi quand j’avais six ans. Je faisais des études de piano au conservatoire de Tilburg, et le violon trad me manquait tellement!
Un soir en décembre, alors que je me promenais à Tilburg, j’ai entendu un violoneux qui jouait une mélodie que je reconnaissais de ma jeunesse. Je lui ai parlé et il m’a invitée à une session qui se passait chaque mercredi… Justement, c’était mercredi ce jour-là, alors je suis allée chercher mon violon. C’est là que j’ai commencé le voyage dans la musique trad de la France, où j’ai trouvé ma passion! Pour la première fois, ce soir-là, j’ai entendu des scottishes, des bourrées, des andros. J’ai trouvé ces mélodies si intéressantes, elles me touchaient, ce n’était pas des reels, pas des jigs… Et quand on m’a dit que, normalement, il y a des danses qui accompagnent ces mélodies, j’étais très curieuse!
Avec mes amis néerlandais à Tilburg, on a fondé un groupe qui s’appelait Té, un groupe qui faisait des compositions pour accompagner les bals folk. On a voyagé ensemble en France pour jouer dans des festivals, où j’ai appris à danser, et entre 2011 et 2019, presque chaque année, je suis retournée en Europe pour jouer partout avec Té pour les bals – en Allemagne, en République Tchèque, en Italie, en Pologne, aux Pays-Bas, en Belgique… ils sont même venus au Canada, chez moi, pour jouer lors de festivals folk ici!
John : J’ai étudié la clarinette classique à l’Université de Toronto, mais pendant cette période, j’ai commencé à jouer beaucoup de musique klezmer et de jazz traditionnel, et je me suis mis à jouer dans les bars autour la ville. C’est par ces mondes que je me suis retrouvé parmi plusieurs joueurs de violon et d’accordéon qui apprenaient des airs d’oreille, et qui jouaient et chantaient toute la nuit.
Emilyn et moi, nous nous sommes rencontrés dans un groupe de musique d’Europe de l’Est qui s’apelle Lemon Bucket Orkestra. C’est au sein de ce groupe que nous avons aussi rencontré un accordéoniste, Tangi Ropars, qui vient de Bretagne. Emilyn et Tangi ont décidé de faire des soirées bal folk / fest noz à Toronto, et c’était mon introduction au bal folk !
Q : Qu’est-ce qui vous a attiré vers le bal folk européen, plutôt que vers les ceilidhs et les stepdances ?
Emilyn : Depuis ma jeunesse, j’ai toujours aimé les danses trad qu’on trouve au Canada – les danses carrées, les contredanses. Mais quand j’ai découvert le bal folk européen, je me sentais plus chez moi, j’avais trouvé des styles à jouer et à danser qui me touchent. Ce que j’ai aimé tout de suite à mon premier bal, c’est la communication entre les danseurs, et entre les danseurs et les musiciens.
Avec Té, des fois on faisait des bals improvisés, où la musique était improvisée sur les rythmes et les formes de danses de bal folk. J’étais surprise de voir une salle pleine de danseurs qui ne parlaient pas, mais qui écoutaient la musique si bien que chaque changement au niveau de la musique, chaque petit moment dynamique dans la musique, était reflété dans les mouvements des danseurs.
Ce que j’ai aussi aimé était la diversité entre les types de danses et de musique dans une soirée bal folk. De pouvoir danser une bourrée à trois temps, puis une scottish, puis une suite gavotte, puis une mazurka, toutes dans une soirée, c’est très varié! En contraste, lors d’une soirée de danses carrées ou de contredanses, il y a moins de variations de tempo, et la musique exprime moins de sentiments.
Puis, ce que je trouve fort aussi, c’est qu’il n’y a pas de «calleur» dans une soirée bal folk. Les bases des danses ne sont pas trop difficiles à apprendre, mais il y a plein d’espace pour grandir, pour trouver sa propre voie dans les danses, improviser un peu, tout en restant connecté aux autres danseurs.
Même si au début, c’était cet aspect d’improvisation qui m’a attirée vers le bal folk, aujourd’hui, ce qui m’intéresse est plutôt les airs et les chansons trad. Maintenant, John et moi, on est vraiment attirés vers la musique trad d’Auvergne et du Limousin, et en fait, on aime bien passer toute la soirée à danser des bourrées à trois temps !
Q : Quand on habite en Ontario, comment peut-on se former au bal folk européen? Y a-t-il des stages animés par des musiciens européens, ou faut-il nécessairement se déplacer en Europe ?
John : Emilyn et Tangi ont créé « Balfolk Toronto » il y a huit ans. Il y avait un petit bal et une jam presque chaque lundi dans un café ou un bar, jusqu’à ce que la pandémie arrive. Au début, Emilyn et Tangi enseignaient les danses et la musique eux-mêmes. Puis, on a organisé de plus grandes soirées avec des groupes qui faisaient une tournée au Canada (y compris David Boulanger du Québec et Maya Jacobsen du Danemark, Isa Holmgren de Suède, Maider Martineau, N’Diaz, La Forcelle, Alain Pennec et Sebastien Bertrand de France). Dans ces cas, les groupes invités ont proposé des stages avant les bals.
Nous avons aussi présenté deux éditions de notre festival bal folk « The Big Branch » en 2018 et 2019 (bien sûr, l’édition 2020 a été annulée). Ce festival nous a fourni l’occasion d’inviter des groupes d’Europe à faire des stages et des bals pendant un weekend à la campagne, en Ontario (y compris Duo Rivaud Lacouchie, Laüsa, Le Bour – Bodros, Adar et Benoit Roblin, Duo Jonsson Coudroy, Dani Detammaecker, et Fillipo Gambetta).
Donc, il y a maintenant chez nous une communauté bal folk de danseurs et de musiciens, qui est petite mais tricotée serré, et si il n’y avait pas de pandémie, on pourrait aller au bar à Toronto pour y passer une bonne soirée bal folk chaque lundi !
Q : Emilyn, tu joues entre autres du violon à cinq cordes. Peux-tu expliquer un peu : quel accordage (la cinquième corde est-elle plus grave que les autres ?), n’est-il pas difficile de jouer des doubles cordes, et pourquoi ce choix?
Emilyn : La cinquième corde est plus grave – elle est un do. Alors comme ça, je peux jouer aussi bas qu’un alto et aussi haut qu’un violon. J’étais très inspirée par mon mentor, Oliver Schroer, qui jouait aussi d’un violon à cinq cordes. Il m’en a donné un il y a 12 ans, et maintenant c’est l’instrument que je préfère. Avec John, ça marche bien aussi quand on joue en duo clarinette/violon : je peux bien l’accompagner au violon car on a un peu le même registre entre les deux instruments.
Q : Vos activités sont-elles réduites en cette période de COVID-19 ? Quels sont vos projets ? Une tournée en Europe ?
John : En fait, nous allions passer un an en France à partir de septembre 2020, mais à cause de la pandémie, on a dû reporter ce projet. Ici, nos vies sont complètement différentes d’avant ! Je présume que c’est la même chose pour les musiciens de Belgique : tous nos spectacles et événements ont été annulés. Pendant l’été, nous avons fait de petits concerts à l’extérieur, mais maintenant, il fait trop froid, donc on reste chez nous et on attend le printemps pour jouer de nouveau en direct.
On a fait un concert vidéo que nous allons diffuser en ligne dans les prochains mois. Mais surtout, nous voulons jouer pour un vrai public, et aller danser nous-mêmes, avec notre communauté, non seulement ici mais en Europe aussi !
Q : Parlez-nous de la communauté folk en Ontario.
John : Toronto est une des villes les plus multiculturelles du monde, donc on peut y trouver de la musique des quatre coins du globe presque chaque soir. En fait, dans une semaine typique du bar Drom Taberna, où nous faisions nos soirée de bal folk hebdomadaires, on peut écouter des concerts de forro, de klezmer, de jazz traditionnel, de musique irakienne, de flamenco, de musique ukrainienne, de bluegrass, etc. Il y a aussi beaucoup de collaborations entre ces groupes.
Emilyn : L’Ontario est une grande province, dont la superficie est plus de trente fois supérieure à celle de la Belgique. Il y a plusieurs communautés autochtones qui maintiennent ou redécouvrent aujourd’hui leurs diverses traditions de chant et de danse. L’autre musique trad qu’on trouve à la campagne en général vient des traditions des colons irlandais, écossais et anglais. Le violon est l’instrument le plus utilisé dans le monde du trad ontarien, et la tradition du violon y est très influencée par les concours de violon trad. Le plus grand concours de l’Ontario a lieu dans la ville de Pembroke. C’est un peu comme le festival Le son continu, avec du camping et des boeufs qui durent jusqu’au matin… mais ce qui manque, ce sont les parquets pour des danses sociales ! (Seulement le stepdancing…)
En ville ainsi qu’à la campagne, beaucoup de violoneux sont intéressés par les traditions québécoises et old-time américaines. En Ontario, on peut trouver beaucoup de contredanses, de danses carrées, et de ceilidhs.
John : Il y a aussi plusieurs festivals folk en Ontario, qui ont commencé dans les années soixante et soixante-dix pendant le « folk revival », comme Mariposa, Summerfolk et Blue Skies Music Festival. L’accent est souvent sur les auteurs-compositeurs-interprètes, avec un public assis, et souvent beaucoup de scènes, y compris parfois une scène avec un parquet pour danser les contredanses et les danses carrées, et parfois des ateliers qui sont l’occasion de découvrir et d’apprendre d’autres danses trad.
À l’avenir, nous voulons promouvoir et favoriser l’épanouissement du bal folk en Ontario. Nous souhaitons recommencer à organiser des soirées bal folk aussitôt que possible!
Contact : emilynandjohn.com
Tunebook. Emilyn et John ont publié un tunebook absolument charmant. Ecrit entièrement à la main sur du papier recyclé, il dégage une douce chaleur qui donne envie de le feuilleter encore et encore. Ses 32 pages contiennent des scottisches, valses, mazurkas, laridés/ridées, une longue suite gavotte, des bourrées à 2 et 3 temps, rondeaux, cercles circassiens et gigues, en partie traditionnels et en partie de leur composition. Cidessous, à titre d’exemple, la première page d’intro, et une scottische traditionnelle du Limousin.
Paru en 2020, c’est leur second album, qui a été présenté dans le n° de décembre. Toujours tourné vers la danse, avec à la fois des traditionnels et leurs compositions (y compris une bourrée auvergnate et une suite gavotte !). Et en prenant soin de parsemer le cd de duos presque intimistes où l’on a le temps d’apprécier de belles secondes voix, et de morceaux bien dynamiques en compagnie de l’un ou l’autre invités. Que demander de plus ?
Marc Bauduin
(Ces textes ont paru dans le Canard Folk de mars 2021)