Pour qui fait un peu attention aux pochettes de cd belges, Jowan Merckx est un nom qui revient souvent. On le voyait encore le mois dernier, en parlant du cd de Ialma. On ne peut qu’être frappé par la qualité de ses compositions et la constance de ses interprétations qui nous charment. La sortie d’un triple cd de son groupe Amorroma imposait de l’interviewer, ce Merckx (qu’il nous pardonne cette comparaison) qui compose parfois à vélo et qui mériterait d’être aussi célèbre que l’autre ! Et comme ce musicien très sympa parle parfaitement le français, on ne voit pas ce qui retiendrait des organisateurs francophones de l’inviter.

Marc Bauduin, 11 avril 2011

 

Q : Cela fait longtemps qu’on voit ton nom sur d’excellents cd, entre autres comme compositeur. Peux-tu nous raconter tes débuts, quand as-tu commencé la musique ?

R : J’ai commencé à l’âge de 8 ans, donc il y a 42 ans, dans la fanfare de mon village de Boortmeerbeek. Je jouais du bugle, un instrument doux et mélancolique que j’aime toujours. Je l’utilise encore en cd, mais pas en concert car il sonne trop fort à côté de la harpe. A cette époque on venait d’avoir une radio à la maison, et un jour j’ai entendu une cornemuse. Cela m’a très fort frappé. C’était Wannes Vande Velde qui en jouait. J’ai cherché à me renseigner, et j’ai découvert que c’était une cornemuse de notre région, pas une cornemuse écossaise comme celles qu’on voyait (les écossaises) aux fêtes du village. J’ai exploré, j’ai écouté plein de musiques, j’ai découvert le Brabants Volksorkest, les Chieftains, … J’étais plus que fasciné, c’était vraiment au fond de moi.

Q : Comment as-tu commencé la flûte et la cornemuse ?

R : La flûte à bec, j’en ai trouvé une dans un coffre, dans le grenier de mes parents, et j’ai appris en autodidacte. Et la cornemuse, j’ai vu Hubert Boone qui en jouait dans le Brabants Volksorkest, et j’ai parlé aux frères Boone. Comme je n’avais pas d’argent, j’ai épargné, par exemple j’ai décidé de ne pas partir en vacances. Et à l’âge de 13 ans, j’ai commandé une cornemuse à Hubert Boone, et je l’ai reçue à 14 ans. En fait c’était difficile de souffler dedans, car je n’étais pas encore assez grand ! Hubert m’a expliqué le doigté, et j’ai continué tout seul. A 14 ans j’ai fait un groupe avec un ami, le fils du sacristain, qui jouait de l’orgue. On jouait dans l’église, de toutes sortes d’instruments y compris guitare, banjo et mandoline, on mélangeait tout. On donnait de petits concerts. Et puis mon ami est tombé amoureux et a arrêté la musique. Et moi j’ai joué uniquement à la maison, pendant une quinzaine d’années.

Q : Tu aimes aussi la musique ancienne …

R : Oui, c’est aussi par la radio que je l’ai découverte. Mon musicien préféré c’est Bach, c’est encore plus fort que tout le reste ! Médiéval, renaissance, baroque … et maintenant j’aime les deux : le folk et la musique ancienne.

Q : Et après cette quinzaine d’années de musique à la maison ?

R : A 30 ans, j’ai commencé à suivre les cours du Lemmens Instituut car je ne progressais plus tout seul. C’est la première fois que je suivais des cours de musique, notamment avec Bart Coen, un excellent prof de flûte à bec. Les cours ont duré cinq ans, et je travaillais en même temps. Ensuite, vers 40 ans, j’ai ressenti à nouveau le besoin de jouer avec d’autres et pour le public.

Q : Quand as-tu créé Amorroma, et pourquoi ce nom ? C’est du romantisme ?

R : Le premier cd d’Amorroma était un projet solo avec des invités comme Didier Laloy et Grégory Jolivet. On l’a enregistré en 2000 et il est sorti en 2001. Plus tard c’est devenu un duo, avec la harpiste anglaise Sarah Ridy. Mais le nom du groupe n’est pas romantique, non. C’est plutôt le ying et le yang. Amor, l’amour. Et Roma, la ville de Rome qui au temps des Cathares était le symbole des guerres, de l’argent, du pouvoir, le contraire de l’amour. Le nom Amorroma est un palindrome …

Q : Dans quelles circonstances, dans quel état d’esprit composes-tu ?

R : Je compose un peu partout. J’ai besoin de liberté, de beaucoup d’espace et de temps. Je compose parfois sur mon vélo, ou en me promenant, ou dans mon lit. J’ai toujours une feuille à côté de mon lit, pour écrire mon inspiration en sortant d’un rêve …

Q : Pourquoi avoir sorti un triple cd ? C’est rentable, en Belgique ?

R : Ce n’est probablement pas rentable, non. Mais on espère pouvoir au moins couvrir les frais. La maison de disques (Majestic Studio) a pris le risque et m’a laissé carte blanche. Cela a commencé grâce au centre culturel De Wildeman à Herent, qui a proposé d’organiser une soirée autour de moi avec des invités. Je me suis dit qu’on pourrait en profiter pour s’enregistrer. Et comme le premier cd était inspirant, on a continué pendant environ un an. J’ai composé, j’ai répété avec chaque musicien séparément. Le livret et la pochette, le graphisme, les couleurs, le texte, ça a été aussi tout un travail.

Q : As-tu l’intention de tourner ailleurs qu’en Belgique ? As-tu un statut de professionnel ?

R : Je voudrais bien tourner en Europe, mais c’est très très dur, même en Belgique. Quand tu téléphones à un centre culturel ou à un festival, c’est rare qu’ils t’acceptent, car ils ne connaissent pas le nom. Nous avons pourtant l’avantage de la flexibilité, depuis un duo jusqu’à un octette. Personnellement j’ai le statut d’artiste, je travaille avec la société Payroll qui gère toute l’administration, et Sarah travaille avec la Smart. D’autres musiciens sont indépendant, ou ont une asbl, ou ont un autre boulot à côté. Et c’est moi qui essaie de trouver des endroits où jouer. Il serait bien sûr utile de trouver un manager, mais c’est difficile car eux aussi, qui doivent bien sûr en vivre, ont tendance à ne prendre que les artistes connus. Nous avons eu quatre managers en dix ans, mais ils n’étaient pas sérieux. Donc si tu connais quelqu’un, c’est avec plaisir !

Q : Et tes autres projets ?

R : Ce qui me plaît le plus après Amorroma, c’est Zefiro Torna, de la musique ancienne avec vièle à archet, viole de gambe, luth et théorbe. j’adore cela, et j’ai un projet de chansons médiévales des Cantigas de Santa Maria. A part ça je participe à des projets, je suis invité une ou deux fois par Naragonia, etc. Et, en ces temps où on évoque une séparation de la Belgique qui serait vraiment dommage, j’ai fait la connaissance d’un chanteur liégeois, Vincent Grégoire, qui a fait quelques collectages dans sa région, un chanteur dont la voix classique se mêle très bien à celle d’Elly Aerden. Avec aussi Vincent Noiret à la contrebasse, le but est d’avoir un programme pour la fin de l’année, avec peut-être un enregistrement de ces belles mélodies très simples proches de la source.

Q : Le mot de la fin ?

R : Malgré tout ce qui est frustrant et dur, il y a bien sûr la musique qui reste une joie, qui coule en moi, qui reste en moi, c’est cela qui me fait continuer. C’est surtout en rencontrant Sarah Ridy que j’ai repris très fort, c’est musicalement magique entre nous.

Contact : www.majesticstudio.be/amorroma, e-mail jowanmerckx@yahoo.co.uk.

(interview parue dans le Canard Folk de mai 2011)