La Musique Traditionnelle Québécoise
un aperçu … compilé par Pierre Depret
avec la précieuse ressource et la joyeuse connivence de Robert Ayotte
… un mystère a toujours été pour moi de comprendre pourquoi le Canard Folk, magazine très réputé et bien documenté, dans sa rubrique ‘discques’ ou ‘ à vos boutons’ faisait si peu d’échos à la musique traditionnelle québécoise, pourtant très vivante, très dynamique, très appréciée et toujours bienvenue lors de tournées d’artistes ou de groupes de passage en Wallonie, à Bruxelles et en Flandre, en Bretagne et ailleurs…
Il fallait donc réparer cela et j’ai proposé à notre éditeur Marc Bauduin de partager en quelques articles ma passion, mes rencontres et mes coups de coeurs depuis 40 ans avec la musique traditionnelle québécoise, ses raçines, ses artistes, ses originalités et ses particularités.
On y lira divers chapitres sur la quête des partitions, les groupes de chansons a cappella, le phénomène de chansons à répondre, les groupes dans le vent et la généalogie des groupes phares depuis les années 70 jusqu’à aujourd’hui, l’art du tapage des pieds, de la turlutte, les ‘concours d’impros’, les grands interprètes, le ‘périodique cousin’ du Canard Folk, les festivals, l’aventure de l’émission télévisée ‘soirée canadienne’ …et diverses anecdotes de rencontres avec des musiciens, artistes et danseurs québécois… et pourtant je ne suis allé que 2 fois outre-Atlantique.
Les sites de référence
Commençons – pour ceux qui voudraient tout de suite se mettre à l’ouvrage – par l’essentiel : où trouver des partitions, des enregistrements introuvables, des fichiers
midi et des interprètes du fameux répertoire québécois ?
Il existe un site peu connu et pas si facile à trouver (parce que répertorié comme de la “musique identitaire”, dénomination bien peu utilisée par icitte mais mis de l’avant par Yves Lambert, membre fondateur et pilier du groupe La Bottine Souriante) de ‘musique identitaire du Quebec’
www.mustrad.udenap.org.
Vous y retrouvez notamment un répertoire de 439 airs de musique traditionnelle québécoise avec pour chacun, une partition bien faite, très lisible et sans fioriture, un fichier midi et un ou deux extraits enregistrés au départ de sources anciennes (souvent des vieux 33 tours) ou récentes revues et redynamisées par des groupes ou artistes connus, qui permettent de comparer le style ‘traditionnel’ et la ‘créativité revisitée’ : un travail titanesque, réalisé par Eric LORTIE et généreusement abrité par l’Université de Napierville (www.udenap.org, présentement en révision).
Il présente aussi une page complète de liens vers les interprètes et compositeurs ‘les plus vieux’ et les ‘contemporains’, que nous commenterons par la suite dans cet article.
La page ’liens intéressants et références’ est aussi une mine immense de liens vers le site pour violoneux “The Fiddler’s Companion”, TRES bien documenté, d’autres vers “La Société pour la Promotion de la Danse Traditionnelle Québécoise”, le “Blog Trad Quebec” ou les pages de Pascal Gemme qui enseigne la manière de jouer des airs traditionnels.
La musique québécoise ‘pur sirop d’érable’ actuelle s’apprécie surtout en concerts, en veillées chantantes et moins en musiques de bal qu’ aujourd’hui en Europe ou en soirées de danses comme au bon vieux temps; beaucoup d’airs ont conservé la dénomination à l’irlandaise.
Les airs instrumentaux repris dans le ‘mustrad’ sont donc groupés en 6/8, brandys, clogs, galopes, gigues, hornpipes, marches, reels, valses et valses-clogs.
Vous trouverez également sur wikipédia une autre “Liste de musiciens et ensembles de musique traditionnelle québécoise”
(fr.wikipedia.org/wiki/Liste_de_musiciens_et_ensembles_de_musique_traditionnelle_qu%C3%A9b%C3%A9coise), amplement pourvue, très intéressante.
Les groupes de chanson traditionnelle a capella
Commençons par deux groupes originaux qui ont su mêler le meilleur des chansons traditionnelles et le renouvellement du genre : Galant tu perds ton temps et Les Charbonniers de l’enfer.
GALANT TU PERDS TON TEMPS
est un groupe de chanson traditionnelle québécoise féminine et féministe a cappella, composé de Jacinthe Dubé, Evelyne Gélinas, Josianne Hébert, Mia Lacroix, Isabelle Payette, qui a produit 4 albums pétillants, rythmés et drôles : “Nous irons danser” (nov 2016), “Soyez heureux” (mai 2013), “Galant tu perds ton temps” (mai 2009) et “Fais-toi pas d’illusions” (nov 2005).
Les groupes exclusivement vocaux sont souvent relégués à une place marginale dans le paysage musical, hormis à certaines époques pionnières (quatuors barber shop, doo-wop) ou dans un contexte choral. Il existe pourtant une chanson domestique, que l’on chantait naguère en famille, à une ou à quelques voix. C’est celle choisie par les filles du groupe “Galant, tu perds ton temps” (GTPTT) qui a vu son nom circuler dans les médias dès sa première année d’existence.
En quelques mois, les cinq voix féminines se sont fait entendre aux grands rendez-vous de la musique trad au Québec, notamment le Festival Mémoire et Racines, à la Grande Rencontre, au Festival d’art vocal de Trois-Rivières, aux FrancoFolies de Montréal et lors des Fêtes de la Nouvelle-France.
Il faut dire que l’on a affaire à des artistes d’expérience.,Avant de former GTPTT, ces dames avaient déjà un parcours de musiciennes à leur crédit. Plusieurs ont été membres de groupes, parfois concurremment. Les Pics-à-pioche, Les Langues Fourchues, Pylawaks, Fleur d’assaut sont quelques-uns des ensembles à avoir accueilli l’une ou l’autre en ses rangs.
Mon air favori du groupe Galant est sûrement “marie picard : en avant la bande joyeuse, dieu protège les bons vivants” (videoclip officiel’) ou “nous irons danser”.
LES CHARBONNIERS DE L’ENFER
www.lescharbonniersdelenfer.com/
Le groupe a fêté en 2017 ses ‘25 ans de noirceur’ : déjà le trombinoscope donne une idée de la joyeuse bande.
“C’est dans le souffle de leurs voix que tout prend forme. Comme une machine à voyager dans le temps, une rafale nous transporte dans un passé riche de culture.”
Formation québécoise a capella spécialisée dans la recherche et l’interprétation du répertoire de tradition orale, Les Charbonniers de l’enfer s’enflamment en calcinant les planches des salles de spectacles à travers le Québec. Il est formé de cinq chanteurs d’expérience – Michel Bordeleau, Michel Faubert, André Marchand, Jean-Claude Mirandette (hélas décédé le 13 avril 2019, paix à son âme, qui a été remplacé au pied levé dans la tournée par Bernard Simard, 5ième charbonnier, ami du groupe et chanteur bien connu de la scène traditionnelle québécoise), Normand Miron.
L’originalité de leur démarche est marquée par le sens de l’actualisation de leur répertoire qui assure, parallèlement, la continuité d’un patrimoine chanté alors qu’au rythme des voix s’ajoute le tapement de pieds.
Après avoir produit 2 CD très inspirés de musique traditionnelle, bien agréables et très appréciés, les Charbonniers ont ouvert de nouveaux horizons pour,dépoussiérer celle-ci.
Gilles Vigneault avait rêvé de faire un disque de musiques traditionnelles de sa composition pour faire danser les gens (du pays). Il l’a réalisé en 2007 et a sorti un CD où il est accompagné par les Charbonniers, non seulement en vocal mais aussi en instrumental car les Charbonniers sont aussi tous fins musiciens. Cela a donné La sacrée rencontre: avec beaucoup de chansons dont les plus belles à mon avis sont : « Faut que j’me réveille », « Le grand cerf-volant » et « Mettez vot’parka » : on quitte les sentiers du traditionnel mais on reste dans le style quand même, avec quelques tounes instrumentales pour danser … s’il y a de la place. Imaginez que Julos nous aurait concocté un bal complet avec paroles et musiques !
Dans leur plus récent album « Nouvelles fréquentations», Les Charbonniers de l’Enfer s’élargissent encore au répertoire contemporain, avec entre autres des oeuvres de Neil Young, Félix Leclerc, la désormais regrettée Anne Sylvestre (pour ‘Bienvenue chez les humains) Noir Désir, Daniel Lanois, Plume Latraverse (avec la terrible chanson comico-mélo-dramatique de Leopold Gibouleau, de quoi vous décourager définitivement de devenir restaurateur), Steven « Cassonade » Faulkner, Daniel Lavoie et Florent Vollant, Dédé Fortin, les soeurs McGarrigle, Marcel Martel et Bertolt Brecht (pour sa ‘Chanson des toilettes’).
Un des Charbonniers, Michel Faubert, à la voix incomparable, reconnaissable entre mille, un peu nasillarde et envoûtante, est un des piliers du groupe; il a produit par lui-même 8 albums, il nous y raconte des légendes du passé, parfois horribles, parfois mystérieuses, sous forme de complaintes, comme « La blanche biche » ou l’histoire de l’orphelin « Alexandre » qui atteignent une intensité dramatique peu commune tandis que les chansons « Amis buvons » et « On est partis une gang » donnent dans une autre forme de démesure.
Bien qu’il puisse aisément tenir un auditoire suspendu à ses lèvres par ses performances en solo, Michel Faubert a participé à la création du quintuor vocal Les Charbonniers de l’Enfer qui privilégie le chant a capella et il crée le conte musical La fille aux mains coupées en compagnie du violoncelliste Claude Lamothe et du guitariste André Duchesne.
Mon air favori des Charbonniers est sans hésitation ‘La pointe du jour’ et aussi leur adaptation récente de ‘Le vent nous portera’ ; j’aime aussi beaucoup la chanson “C’était un charbonnier, là-haut dans ces montagnes’ qui évoque un vendeur de charbon de bois qui essaie de vendre son charbon tout en courtisant sa cliente, qui ne reste pas insensible.
A écouter aussi : ‘Au diable les avocats’, ‘C’est dans notre paroisse’, ’Lundi mardi jour de mai’, et aussi cette belle chanson à répondre ‘Frinque you’ (que les Charbonniers ont nommée ‘Frank you’), qui a servi de prête-nom au groupe éphémère que nous avions constitué ici dénommé ‘Matafaye mitou pitaritou laridé’, qui posait toujours des difficultés de prononciation à la personne qui était chargée de présenter le groupe sur scène !! (on lâche pas la patate)
(à suivre)
(cet article a paru dans le Canard Folk d’avril 2021)