un aperçu … compilé par Pierre Depret avec l’aide de Robert Ayotte

Chapitre 3 : Les Violoneux : pas de musique québécoise sans violon !

“J’ai fait une banqueroute, j’ai fait une banqueroute (bis)
J’ai vendu ma jument, ainsi que mon violon
Ma femme court après moué et m’dit mon cher Gédéon !
Vends ta jument pi ton étalon, mais j’veux qu’le violon reste à la maison” (bis)
(chanson à répondre de la Bottine Souriante)

On peut tout perdre, tout vendre… sauf le violon !
En introduction et si vous souhaitez un aperçu général (et si vous avez le temps), je vous recommande l’intéressante, très pédagogique et amusante conférence en ligne de Jean-Pierre Joyal, violoniste, violoneux et ethnomusicologue; enseignant au Cégep de Drummondville (ville jumelée avec Braine l’Alleud) : “Le violon traditionnel québécois des origines à nos jours avec Jean-Pierre Joyal : c’est une conférence en deux parties, enregistrée en 2015 dans le cadre des Causeries musicales d’EspaceTrad (espacetrad.org/

00:14 : Introduction
00:35 : Le violon, l’instrument de musique national
03:03 : Comment le répertoire s’est-il développé en terre d’Amérique française?
14:14 : Quelles formes musicales avons-nous adaptées?
23:23 : Origines des mélodies et processus de transformation

La 2e partie : vimeo.com/131359859 se nomme : Capsule de l’encyclopédie vivante et dynamique du violon traditionnel québécois, Le violon de Jos (leviolondejos.wiki).

Voici en remontant le temps quelques interprètes notoires représentatifs du très dynamique phénomène ‘violoneux québécois’ (il y en a tant, on ne peut les citer tous).

Germain Leduc

Germain LEDUC.

Commençons par la relève : si vous regardez cette émission ‘Soirée Québécoise’ (qui essayait de remettre sur les rails les égarements de ‘Soirée Québecoise’) animée par Marie-Claude Breault et Serge Mathon, vous pourrez y faire la découverte d’un jeune violoneux, encore adolescent timide à l’époque, mais déjà virtuose prometteur : Germain LEDUC. Il a commencé la musique à 3 ans (orgue) ; il joue du piano et du violon ; à 15 ans, il avait déjà écrit 41 compositions (reels, clogs, jigues, rags, …. qu’il composait en 15 minutes).

Même la ‘valse à ma tante Solange’ est une réussite, alors que souvent les valses québécoises sont plutôt ‘bof’, voire mièvres, plutôt lentes et peu mélodiques .. avec quelques exceptions notoires (la valse ‘clogue’de Ph. Bruneau, succès repris à l’époque par Marc Perrone, la valse du Bruit Court dans la Ville,…).

On peut ensuite retrouver Germain quelques années plus tard au concours Pure Laine en 2009 en finale avec April Verch, une autre violoneuse virtuose (que j’apprécie beaucoup), et remporter la première manche.

Les Concours de Modulation

Camp Violon Trad Québec

Il y a au Quebec des rencontres, des stages de musiciens (qui ressemblent un peu aux soirées de Neufchâteau) où, entre autres jam sessions, les violoneux s’amusent dans une forme de concours de ‘qui saura enchaîner le plus d’airs possibles en changeant de tonalité’. Le principe est le suivant : 2 ou 3 joueurs de violon face à face jouent chacun à son tour un air de 8 mesures seulement, le suivant changeant de ton à chaque fois, et en annonçant bien haut le ton qu’il va prendre ; le perdant est celui qui n’a plus d’inspiration, qui rejoue un air déjà joué par l’autre ou par lui-même ou qui ‘loupe son entrée’ : ça vous apprend à enchaîner en rythme, et à travailler de tête votre répertoire, ça c’est sûr.

Il faut dire que les occasions d’apprendre le répertoire, la technique du violon traditionnel ne manquent pas au Québec : si vous regardez le reportage sur le 13ième camp traditionnel de violon de LANAUDIERE (région où il y a probablement la plus grande densité de violoneux au kilomètre carré), fondé par Éric Beaudry, Stéphanie Lépine et André Brunet, vous comprendrez la passion, la joie, l’enthousiasme qui se partage entre ces violoneux qui “s’éclatent’ en enchaînant les airs les uns après les autres. Depuis ses débuts, le Camp Violon Trad Québec a rassemblé plus de 1600 musiciens de tous âges d’ici et d’ailleurs ! L’an dernier, les vidéos présentées par le camp VTQ en mode virtuel furent visionnées par plus de 36 000 personnes !!! La 14e édition du camp violon trad québec aura lieu en en mode virtuel ces 11, 12 et 13 juin 2021.

Sophie LAVOIE

Sophie Lavoie est violoneuse, pianiste, chanteuse, compositrice et ethnomusicologue. Avec un tel bagage, ça promet encore !

Native du Lac-St-Jean, elle est introduite dès son jeune âge à la musique classique par l’étude du piano, ainsi qu’à la musique et à la chanson traditionnelles au sein de sa famille. Elle obtient un baccalauréat en piano classique à l’Université de Montréal en 2004. Dans les mêmes années, elle forme le groupe de musique traditionnelle L’attisée, qui obtient une nomination à l’ADISQ en 2011. Sophie Lavoie et Fiachra O’Regan, du Connemara en Irlande, se rencontrent dans un festival en Irlande et ont rapidement constaté leurs intérêts musicaux similaires : les deux ont un profond respect pour leurs traditions musicales et ont été influencés tous deux par les musiciens des générations passées. Le duo Sophie & Fiachra se produit aux quatre coins de la terre ; il enregistre plusieurs albums et à partir de 2016 collabore régulièrement avec le guitariste québécois André Marchand et enregistre l’album Un Canadien errant « une expérience musicale saisissante » qui obtient trois nominations au Canada.

Le Canadien errant

En 2017, Sophie devient récipiendaire d’une bourse de maîtrise du Fonds de recherche du Québec et en 2019, elle dépose son mémoire à l’Université de Montréal, qu’elle intitule : « Les violoneux du Saguenay-Lac-St-Jean : style et répertoire des derniers de leur lignée ».

La même année, Sophie enregistre avec Fiachra et André l’album Portraits.

Sophie Lavoie a enseigné la musique et la chanson traditionnelle à travers le monde – au Canada, aux États-Unis, en Europe, et en Océanie. Elle est “une compositrice sublime” (FolkWorld), une «violoneuse experte» (Songlines magazine), et « l’une des étoiles montantes de la musique québécoise» (Roots Magazine). Elle sera enseignante cette année 2021 au Trad Camp de violon. Qui aurait la bonne idée de l’inviter en Belgique pour un festival, un cours de violon ?! A suivre donc.

Lisa Ornstein

Lisa ORNSTEIN

Je vous recommande tous ses enregistrements, sans réserve : virtuose du violon, Lisa Ornstein, grâce à un style de jeu aussi captivant qu’inventif, est aujourd’hui considérée comme une des plus remarquables interprètes du répertoire traditionnel du Canada français ainsi que des Appalaches aux États-Unis.

Guidée dans son adolescence par le légendaire Tommy,Jarrell, violoneux originaire de la Caroline du Nord, elle maîtrise brillamment le style de musique qu’on appelle « Old time ».

Plus tard, sa rencontre avec Louis Beaudoin, violoneux franco-américain vivant au Vermont et avec qui elle passe beaucoup de temps dans sa famille, lui trace la route vers le Québec en 1978. Invitée par La Bottine Souriante à se joindre au groupe, son voyage alors prévu pour durer six mois s’échelonne finalement sur… 12 ans ! Durant cette période vécue au Québec, Lisa passe beaucoup de temps à rencontrer des porteurs de tradition, jouant avec eux autant dans leurs cuisines que dans des soirées de danse. Elle en profite pour faire une maîtrise en folklore à l’Université Laval à Québec dont le mémoire porte sur la vie et la musique du violoneux Louis « Pitou » Boudreault (cf ci-dessous).

Lisa enseigne, donne des concerts et tourne intensivement avec les meilleurs musiciens traditionnels du Québec. Elle enregistre pour Smithsonian Folkways ainsi que pour Radio Canada. On peut l’entendre sur plusieurs enregistrements de la Bottine Souriante et, en compagnie de ses compères Normand Miron et André Marchand, sur l’album Le Bruit Court dans la Ville, disque mythique qui s’attire de nombreux éloges. En 2009, elle enregistre avec André Marchand Par un beau samedi d’été et avec Dan Compton en 2010 The Magic Paintbrush. Suivra encore en 2014 l’album ‘Les vents qui ventent’ toujours aussi inspiré.

André Brunet

André BRUNET

André, né en 1976 est un violoneux, guitariste, podorythmiste (tapeux de pieds), chanteur, arrangeur, compositeur et comédien : un joyeux drille en tous cas, aujourd’hui le violoneux le plus universel du Québec je pense.

En 1997, il rejoint le groupe La Bottine Souriante pour remplacer Martin Racine, violoneux depuis les débuts du groupe ; à l’enregistrement de son premier album avec le groupe, l’album Xe, il interprète une composition qui rend hommage à son père Gilles Brunet “Ciel d’automne” (un de mes airs favoris).

Il a joué au sein de différents groupes musicaux (De Temps Antan, Discord, Celtic Fiddle Festival, et depuis 2017 Le Vent du Nord. Ses services de violoneux l’amènent à participer à la musique de différents films et il a même l’opportunité d’y participer en tant que comédien. Il compte à son actif différents tournages pour le cinéma, les vidéoclips et les documentaires.

André a mis en ligne de nombreux tutoriels pour airs de violons traditionnels québécois (Quebecois Fiddle Lessons) : à titre d’exemple, je vous suggère celui du Reel de Pointe au Pic (un air célèbre de Jo BOUCHARD, un grand violoneux du début du siècle), ici joué au ton d’origine en do, approprié pour y adjoindre un accordéon : vous avez à la fois le son, la vue sur les accompagnement guitare bien net et en prime – originalité québécoise – une vue caméra sur les pieds qui battent la mesure, le tout dans un studio d’enregistrement professionnel, en décomposant phrase par phrase, avec des suggestions de style : coups d’archets, doubles cordes, vibrato, ornementations : avec tout ça, plus d’excuses pour ne pas entrer dans le répertoire, même si vous n’avez pas la partition !! Vous pouvez ainsi apprendre 41 airs québécois, la plupart des reels, sur le site www.fiddlevideo.com/category/andre-brunet/ : des heures de plaisir ; le site héberge par ailleurs plus
de 300 tutoriels pour le violon.

Monsieur POINTU

Qui se rappelle encore de Monsieur Pointu (né Paul Cormier 1922-2006) violoneux québécois qui était connu dans toute la francophonie, et l’un des archétypes du violoneux traditionnel ? C’était un original, un excessif, parfois clown tendre, farceur, chapeau et costume blanc, qui a été connu dans les années 70 en Europe comme accompagnant “La vente aux enchères avec Gilbert BECAUD . Il fera à l’époque “swingner” son archet dans plus de 22 pays, participera à une foule d’émissions de télé et tiendra notamment l’affiche à plus de 150 reprises à l’Olympia de Paris. De retour au pays, où il est accueilli en véritable héros, il aura sa propre émission et sera le personnage central d’un film d’animation, poétique et décalé, qui remportera quatre prix internationaux et sera mis en nomination pour un Oscar à Hollywoord. Après une banqueroute de la maison de disques qui l’ avait enregistré, son CD ‘Monsieur Pointu en rappel’ sera réédité 20 ans plus tard : je ne le vous conseille pourtant pas (arrangement plutôt lourd et trop de batterie boum-boum !)

En ligne, écoutez donc un de ses airs mythiques : le ‘reel de l’oiseau moqueur’ , plein d’effets sonores et de glissandos évocateurs.

 

Jean Carignan

Jean CARIGNAN

Par hasard (comment est-il arrivé jusqu’ici ?) chez un disquaire de Bruxelles, j’ai récemment trouvé le triple CD “Jean Carignan, 2e édition, Archives du Musée Canadien des civilisations (presque 3 heures de musique), publié avec l’aide de sa famille et Carmelle BEGIN, infatigable folkloriste qui a numérisé, transcrit, édité et publié d’innombrables partitions et enregistrements de Ti-Jean.

De nombreux reportages existent sur la vie de Ti-Jean Carignan, le répertoire, le style, les anecdotes, les souvenirs, quittant son métier de cordonnier à 14 ans pour devenir musicien professionnel : ne manquez pas l’enregistrement (1h30) de Jean CARIGNAN à l’Université de Trois Rivières, interrogé par l’historien Benoît BERNIER et divers enregistrements ‘live’ : beaucoup de virtuosité démonstrations techniques impeccables du ‘flying spiccato’ Jean Carignan au visage souvent imperturbable et appliqué (voir par exemple le reel du pendu, minute 49).

Louis-Pitou BOUDREAULT

En remontant le temps, bien sûr on ne peut oublier de citer parmi les grands interprètes le fameux Louis-Pitou BOUDREAULT (né à Chicoutimi en 1905 dans une famille de musiciens ¯ 14 enfants qui jouaient tous d’un instrument) ,transmetteur du répertoire de son père et de son grand-oncle tous deux violoneux très respectés dans la région du Saguenay-Lac St Jean.

Ce n’est qu’en 1976 (il est alors âgé de 70 ans!) que sa notoriété dépasse les frontières du « Royaume » (c’est ainsi que les gens du Saguenay nomment leur région), année où il participe aux festivités des Jeux Olympiques de Montréal et où il se produit au festival Mariposa de Toronto, aussi en France et en Louisiane.

Violoneux virtuose d’un style tout à fait original (vous entendrez de suite que son archet est tendu au maximum, beaucoup de doubles cordes pour augmenter le son), doublé d’un tapeux de pieds remarquable (il montait sur la table pour se faire mieux entendre), en plus d’être un excellent conteur, Louis « Pitou » Broudreault a été un phare de la renaissance de la musique traditionnelle québécoise dans les années 70.

Soirée canadienne

Une émission télévisée très connue au Québec de 1960 à 1983 passait le samedi soir et était très regardée dans les campagnes : ‘Soirée Canadienne’ avec un style très convenu et très formaté, dans un décor reconstitué (et factice), avec des musiciens traditionnels en costume et cravate (!), présentait des chanteurs, des musiciens, des danseurs de quadrille, des jigueux, et aussi les maires, les aînés, les curés ou vicaires des paroisses des villages et municipalités, et pourtant c’était du vrai traditionnel : de nombreuses émissions sont à nouveau visibles sur le net (parfois de qualité moyenne, vu les coupures de la publicité, les repiquages, le filmage d’écran..) : des heures et de heures d’écoute surprenantes, où se mélangent le meilleur et le pire de l’image un peu figée de la société québécoise en transition entre tradition passéiste et modernité. Une aventure sociologique et musicale qui n’a pas d’équivalent. Si vous vous y risquez, je vous aurai prévenus !

Soirée canadienne est probablement la meilleure et la pire émission de folklore, et pourtant c’est un miroir d’une certaine conception de la musique folklorique ; rien que le titre a dû susciter des polémiques voire l’ire des partisans de l’indépendance. J’imagine les débats houleux et enflammés qui ont dû avoir lieu dans les médias, à la fois le soulagement et les regrets lorsqu’après 300 éditions, l’émission s’est arrêtée !

Extrait de Wikipedia : La soirée canadienne se donnait pour mandat de mettre à l’avant-scène le folklore québécois et le mode de vie rural des Québécois. Dans un décor de maison canadienne typique, l’animateur recréait l’univers d’une veillée d’antan, ponctuée par des chansons à répondre, des gigues, des rigodons et des numéros musicaux où l’auditoire était mis à l’honneur ; L’originalité de la formule repose sur le fait que l’animateur invitait un groupe d’une municipalité différente chaque semaine, d’abord en Estrie, puis à travers le Québec par la suite.

L’émission, animée par Louis Bilodeau a tenu l’affiche pendant 23 saisons, de 1960 à 1983.

(Cet article a paru dans le Canard Folk de juin 2021)