Solia (Photo eRno le Mentholé)

 

En ce mois de juillet, une semaine de pluie, puis l’invitation d’une musicienne à aimer la page Facebook d’un nouveau groupe dont elle fait partie.

Banal ? Non, car ce duo féminin place le patrimoine wallon sur un piédestal : la démarche surprend agréablement, même si le répertoire wallon montre le bout du nez depuis un certain temps déjà. On pense d’abord à Trivelin et à Marinette Bonnert (groupe Havelange, 21 Boutons, parution prévue d’un recueil wallon avec Jean-Michel Corgeron …) , mais aussi à une série de groupes dont Gédéon, La Crapaude, Plectra, Salon Ambroisine … On pense bien sûr aussi au décès de Louis Spagna, ainsi qu’au projet Melchior.

Alors, la musique traditionnelle wallonne est-elle en train de perdre une image faite de ringardise et de danses compliquées ? On peut au moins l’espérer.

Pour l’heure, allons voir comment le duo Solia se présente sur son site web.

Solia est composé de Raquel Gigot à l’accordéon et de Marielle Vancamp à “la nyckelharpa” (ndlr : le mot peut-être masculin ou féminin, au choix). Elles ont décidé de “mettre à l’honneur les airs et chants traditionnels de Wallonie”. Car la Wallonie, outre ses paysages, sa gastronomie … dispose d’un “patrimoine musical riche”. C’est pourquoi “Solia a la volonté de faire connaître ces trésors musicaux, dans une optique vivante, en les réarrangeant, en les modernisant, en s’en inspirant pour ses compositions. Le tout en gardant bien sûr un ancrage ferme dans la tradition.”

Avant de leur poser quelques questions, rappelons qui sont ces musiciennes.

Raquel Gigot, d’origine belgo-espagnole, joue des accordéons diatonique et chromatique dans une multitude de répertoires: musette, est-européen, scandinave, irlandais (on se rappelle sa présence dans Orion pendant 25 ans) … et donc aussi wallon. Professionnelle depuis trente ans, elle se produit avec de nombreuses formations internationales. Elle donne des stages en Belgique, aux Pays-Bas et en Allemagne.

Marielle Vancamp, après une formation en violon jazz, a travaillé avec les Baladins du Miroir (théâtre forain) et a accompagné une série de musiciens. En 2008 elle crée avec Monique Gelders le groupe Klezmamo. Elle découvre ensuite la nyckelharpa, et joue actuellement dans les groupes Eä (musiques traditionnelles à danser européennes) et Manäcken (musiques nordiques). Par ailleurs, elle donne cours à la Haute Ecole Vinci de Louvain-la-Neuve et à l’IMEP (institut de musique et de pédagogie, à Namur).

Vous trouverez quelques agréables vidéos sur leur site : un menuet et la berceuse de Maffle dégagent une douce chaleur, tandis que la Vieille Matelotte dévoile son beau dynamisme, tous trois dans d’élégants arrangements. A découvrir plus en détail dans leur cd qui sortira le 10 septembre chez Homerecords. Il sera chroniqué dans le Canard Folk d’octobre et fera son apparition le 1/10 sur la webradio TradCan.

L’interview ci-dessous a été réalisée le 25/7/21 par e-mail.

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Q : D’où vient le nom « Solia » ? Est-ce pour vous persuader qu’en Belgique « soleil il y a » ?

R : Comme pour chaque nouveau projet, vient le moment de se trouver un nom. Nous en voulions un qui évoque la musique que nous avons choisie et nous avions plusieurs idées, mais «Solia» (qui veut dire soleil en wallon) nous a plu pour diverses raisons. D’abord cela permet à Raquel de rester dans le céleste (après Orion, et en complément d’Etoile Musette, la référence nous plaisait et nous faisait sourire), et puis, blague à part, le soleil dans une Belgique souvent grise et pluvieuse, cela fait du bien à tous. Sans aucune prétention, nous avons essayé de mettre de la joie dans notre album, de transmettre le plaisir que nous avons à jouer ces mélodies, et si cela peut apporter un peu de soleil dans le coeur des gens qui les écouteront, nous en sommes ravies.

Q : Jouez-vous surtout des instrumentaux wallons, ou aussi (un peu, beaucoup) de chants ? Connaissez-vous, ne fût-ce qu’un peu, le wallon ?

R : Nous avons sur le CD une majorité d’instrumentaux wallons, et quelques chansons. Les airs instrumentaux sont issus de manuscrits (Wandembrile, Jamin, Houssa, Breuls…) et nous y avons ajouté quelques compositions. Les chansons sont issues de collectages (notamment ceux réalisés par Françoise Lempereur), mais nous avons aussi enregistré une version personnelle de Leyiz m’plorer, célèbre chanson d’amour en wallon liégeois, écrite par Nicolas Defrecheux et publiée en 1854 dans la Gazette de Liège. Cette chanson a eu un succès retentissant, et a même été chantée par Edith Piaf et les Compagnons de la Chanson (la vidéo peut être vue sur youtube, Piaf y qualifie Leyiz m’plorer de « plus belle chanson du monde »). Enfin, la chanson qui donne son titre à l’album , « Tous les parfums », est à la base une composition de Marc Malempré, sur laquelle la fille d’Eric Montbel, Elsa, a inséré des paroles de Guillaume Apollinaire.

Pour le reste, nous ne parlons pas wallon, même si comme la plupart d’entre nous nous en avons une connaissance un peu passive. Le papa de Raquel, lui, parlait le wallon, et les grand-parents de Marielle également. Nous sommes particulièrement touchées par le fait que cette langue ait complètement disparu en quelques générations à peine, sous nos yeux, dans l’indifférence. Il y a eu une répression systématique du wallon dont on parle peu. Par exemple, le cousin de la maman de Marielle ne savait s’exprimer qu’en wallon quand il était petit enfant. Lorsqu’il est rentré à l’école il a vécu un calvaire car on lui interdisait de parler sa langue, et il ne comprenait pas bien le français. En France également les langues régionales ont été interdites, tuées parfois, au profit du français. Certaines régions ont cependant résisté (pensons à la Bretagne par exemple), et aujourd’hui il y a l’amorce d’une réappropriation culturelle, qui passe par un ré-apprentissage des langues locales y compris par les jeunes générations, et qui se traduit aussi parfois en musique.

Chez nous on en est encore loin, et seuls quelques initiés, souvent âgés, savent encore parler le wallon. La langue wallonne a même parfois mauvaise presse, elle n’est pas considérée comme «belle» à entendre. Nous voulions montrer avec Leyiz’m’plorer qu’elle est au contraire chantante, charmante, touchante. Ceci dit, notre projet ne tourne pas autour de la langue wallonne.

Q : Quelle est la proportion d’airs à danser dans votre répertoire ? Comptez-vous faire danser le public – et si oui, avec quelqu’un qui expliquera les danses ?

R : Quatre-vingts pourcents de notre répertoire actuel est composé d’airs à danser ou dansables. Bien sûr nous sommes prêtes à jouer dans des bals, avec la collaboration d’un ou d’une maître à danser qui pourrait guider les gens. Nous, qui fréquentons aussi beaucoup les bals folks et leurs festivals, serions ravies de pouvoir y amener des ateliers et bals de danses wallonnes.

Pour l’instant cependant, à cause de l’arrêt des bals dû à la crise du Covid, nous nous concentrons sur les concerts.

Q : à Marielle : Joues-tu encore du violon ? Peux-tu expliquer ton choix de la nyckelharpa pour des airs wallons, alors que toute une série de « musiciens traditionnels » wallons étaient des violoneux ? Le violon n’offre-t-il pas plus de possibilités ?

Marielle Vancamp

Marielle : Je joue bien sûr toujours du violon, et d’ailleurs j’ai choisi le violon sur plusieurs morceaux du cd. Cependant il est vrai que ces dernières années j’ai eu un vrai coup de coeur pour la nyckelharpa, et je l’ai énormément travaillée, à tel point qu’elle est pratiquement devenue mon instrument principal.

On me pose souvent la question de « pourquoi la nyckelharpa »? Il est vrai que celle-ci est très associée à la musique traditionnelle suédoise, à tel point que certains pensent que les nyckelharpistes jouent forcément cette musique. Beaucoup d’entre eux d’ailleurs se mettent à la nyckelharpa pour faire de la musique suédoise. Dans mon cas c’est l’inverse, j’ai d’abord eu un énorme pour coup de foudre pour l’instrument en tant que tel. Comme il est chromatique, il peut s’intégrer dans tout type de tradition musicale, y compris wallonne. A ce propos, Emilia Amper, une grande joueuse de nyckelharpa suédoise, a un jour raconté en concert en Belgique qu’il y avait eu des théories en Suède disant que la nyckelharpa y était arrivée avec les immigrants wallons au 17e siècle. L’histoire est amusante non? Quoi qu’il en soit, de tout temps les musiciens se sont approprié des instruments qui venaient d’autres cultures, il suffit de voir le nombre gigantesque de peuples qui ont adopté le violon. Personne ne penserait à assigner le violon à la tradition musicale italienne ou française uniquement (les deux pays où il s’est particulièrement développé lors de sa création). On retrouve le violon dans les musiques irlandaises, suédoises, roumaines, klezmer, auvergnates, arabes…Un même instrument et tant de façons différentes de le jouer, je trouve cela fascinant.

Avec Solia nous ne nous inscrivons pas dans une démarche historique. Nous ne prétendons pas jouer les airs et chansons «comme avant ». Et comme il y a eu coupure de la transmission orale, et pas ou peu d’enregistrements, on ne sait pas vraiment comment elle était jouée. Nous ne voulons pas faire « revivre » une tradition wallonne issue d’un passé que nous n’avons pas connu, nous voulons la faire vivre, maintenant. Nous avons puisé dans le répertoire patrimonial wallon des mélodies et chansons que nous aimons, et que nous avions envie de jouer, d’arranger, d’harmoniser. Et nous ne nous sommes pas mis de contraintes, nous avons laissé notre créativité musicale, soutenue par nos influences musicales diverses, s’exprimer. En ce sens il n’y a pour nous pas de problème à jouer cette musique avec nos instruments. Je ne me positionne donc pas comme une « violoneuse wallonne », je suis une musicienne (wallonne ceci dit) qui joue des airs
wallons, entre autres.

Raquel : Quand l’accordéon est arrivé, il a bousculé la musique wallonne qui était jouée avec les instruments de l’époque. C’était d’abord le diatonique puis le chromatique. Le diatonique, par ses limites, a modifié des subtilités jouées par exemple par le violon. On a dit que l’accompagnement des basses de l’accordéon diatonique appauvrissait les rythmiques à cause du jeu régulier « basse-accord », et pâlissait les harmonies car pas assez complet…Or actuellement il est complètement adopté comme un instrument du monde folk. Ceci dit, il a aussi bien évolué.

Q : à Marielle : tu donnes cours à l’IMEP qui a lancé le projet Melchior. As-tu été impliquée dans ce projet, ou du moins influencée dans ta décision de faire du wallon ? à Raquel : qu’est-ce qui t’a décidée à faire ce duo ? Avais-tu déjà joué du wallon auparavant ?

Marielle: Je donne cours dans la section pédagogique de l’IMEP en effet, mais le projet Melchior était déjà lancé quand j’y suis arrivée et je n’y suis pas impliquée. Ce projet est à l’heure actuelle soutenu par l’IMEP et la Fédération Wallonie-Bruxelles, mais il est porté à bout de bras et presque uniquement par Julien et Marie-Hélène Maréchal, qui sont les médiathécaires de l’institution. Julien va d’ailleurs écrire les textes du livret de notre CD. Mais sinon, non, mon intérêt pour la musique wallonne n’est pas lié à cela. A vrai dire j’ai juste eu envie, après avoir joué et dansé des airs de tant de régions européennes différentes, de découvrir ce qui se passait chez moi. Ma démarche a rencontré celle de Raquel qui, elle aussi, avait depuis longtemps envie de travailler sur ce répertoire.

Raquel Gigot,

Raquel : Quand j’étais adolescente, j’ai été invitée à venir jouer de l’accordéon pour un groupe de danses traditionnelles wallonnes dans mon village de Bourgeois – Rixensart, «Les Walcoteux ». Nous nous réunissions chaque semaine pour travailler des morceaux, apprendre des pas de danse. Nous nous produisions régulièrement en public. C’est là que j’ai découvert la musique de Wallonie. Et j’ai toujours continué à en jouer. Un jour, Bernard Gillain, de la RTB Namur, aussi à l’origine du festival « Le Temps des Cerises », avait besoin de musique du pays pour illustrer un travail sur les vieux métiers wallons disparus. Il m’a invitée au studio pour enregistrer des morceaux wallons. Je me souviens qu’il disait sans cesse « c’est du pain bénit » ! Je me suis alors dit « c’est vrai qu’elle est belle notre musique » ! A part ceux qui fréquentent les milieux folks, le grand public ne la connait pas.

Une autre aventure a contribué à ce cheminement. Je me suis plongée corps et âme dans la musique irlandaise pendant 25 ans. Lorsque je jouais dans Orion, j’ai goûté à ces lieux où l’on se transmet les airs de père en fils depuis des générations, où l’on entend le même morceau joué différemment au Donegal ou au Connemara parce qu’il a voyagé, parce qu’on se l’est transmis oralement… Dans les pubs, ça joue, danse, chante… J’ai partagé des moments dans des familles ou l’enfant de 6 ans joue du tin-whistle dans la cuisine avec ses parents pendant que l’irish stew mijote…
Et je me suis demandée pourquoi chez moi ce n’était pas comme cela…
L’identité wallonne… L’intérêt pour son patrimoine… La transmission…
Et en même temps il y a chez nous un énorme intérêt pour les « musiques du monde ».
Et la nôtre..?

Puis j’ai vu une vidéo de Marielle dans laquelle elle joue un morceau wallon à la nyckelharpa. . C’était autour de Noël. Il y avait un sapin de Noël dans la pièce. Tout à coup elle se mettait à chanter. C’était sublime, magique, charmant. J’ai été touchée. Cette vidéo m’a parlé. J’ai proposé à Marielle de faire un duo de musique de Wallonie. On s’est rencontrées, on a tout de suite été en symbiose et on a enregistré notre premier morceau. C’était parti…

Q : Quel sera donc le titre du cd ?

R : « Tous les parfums », d’après une composition de Marc Malempré, que nous avons enregistrée. Cela nous évoque toutes les couleurs de notre musique, toutes nos influences, tous les parfums de Wallonie que nous avons mis dans notre CD. C’est aussi un petit hommage à Marc, qui a beaucoup oeuvré pour le collectage de la musique et des danses wallonnes.

Q : Probablement une série de concerts seront-ils prévus : d’abord en Belgique sans doute, puis aussi à l’étranger ? Est-ce facilement compatible avec vos autres occupations, notamment les cours donnés par Marielle ?

Marielle : Pour l’instant nous sommes encore en train de finaliser l’album, mais nous avons déjà des concerts confirmés à l’automne, et d’autres en négociation. Tout sera annoncé sur notre site (www.soliamusica.com), ou sur notre page Facebook.

Pour le reste il y a des tas de musiciens qui donnent cours dans des académies de musique ou des écoles supérieures d’art. Cela fait des années que je donne cours et cela ne m’a jamais empêchée d’en faire, ni de me produire.

Raquel : Quand on donne cours à de futurs musiciens, quel serait plus bel exemple pour ses élèves que de s’absenter comme ce fut le cas, pour des enregistrements en studio, ou pour une tournée de concerts ?

Contact : soliamusica.com/
Facebook : Soliafolk

Marc Bauduin

Solia

 

Ci-dessous le partage d’une vidéo YouTube par Jacqueline Servais (Trivelin), qui ajoute ceci : “Je trouve formidable leur façon de jouer, tout en douceur, en finesse, en nuances !”

(article paru dans le Canard Folk de septembre 2021)