Il est, non loin des rives catalanes de la Méditerranée, un endroit difficile d’accès, au milieu des montagnes, un des hauts lieux de l’arrière-pays barcelonais : le monastère de Montserrat.

Dans sa bibliothèque, est rangé un trésor arrivé, par miracle, car, au début du XIXe siècle,lors de l’invasion française, il faillit partir en fumée. Ce trésor inestimable est un livre qu’on appelle aujourd’hui « El Llibre Vermell » du fait de sa couverture de maroquin rouge.

Il peut être daté très précisément de par son contenu : 1399, date de son achèvement. Il renferme l’essentiel du culte rendu à la Vierge noire : rituels, liste des miracles, sermons préétablis, … et, dans le début, une série (vraisemblablement incomplète) de folios portant des cantiques accompagnés de leurs partitions. Ces dixairs sont tous dédiés à la Vierge Marie et sont rédigés en occitan, en catalan ou en latin.

Il existe une transcription tardive d’un 11ème air pour lequel nous n’avons pas de partition:Rosa Placent (ou Birolay de Madona Santa Maria) et des bribes de partition inexploitables d’un 12e air.

Laudemus Virginem, Splendens ceptigeraet O Virgo splendens sont des canons à deux ou trois voix. Imperairitz de la Ciutat Ioyosa et Mariam matrem virginem sont des antiennes de toute beauté le premier étant un motet contenant deux textes différents pouvant être chantés simultanément, style considéré comme vieillot au moment de la constitution,du manuscrit. Les cinq derniers chants nous intéressent plus particulièrement car ils sont « à danser» :

•Stella spendens : ad trepudium rotundum (à danser en rond)
•Cuncti simus concanentes est un virelai (virelai vient de lai et de virer dans le sens de tourner, ce qui évoque à la fois la danse et le refrain).
•Los set gotx: a ball redon, équivalent catalan de ad trepudium rotundum
•Polorum Regina : a ball redon
•Ad mortem festinamus est un virelai. Il est également regardé comme une des premières indications écrites de danse macabre, très en vogue au XIVe et au XVe siècle, vu le contexte très incertain de guerres et d’épidémies de peste.

Trouver des danses dans cet ouvrage religieux n’est pas incongru malgré le fait que la danse fut, à de nombreuses reprises, condamnée par l’Église. Nous en trouvons la justification dans le Llibre Vermell lui-même : « Parce que les pèlerins souhaitent chanter et danser pour rester vigilants la nuit dans l’église de la bienheureuse Marie de Montserrat,mais également à la lumière du jour.De plus, les chants ne sont autorisés dans l’église que s’ils demeurent chastes et pieux. C’est pour ces raisons plus ou moins bonnes, que ces chants ont été composés. Ils doivent donc être utilisés avec modestie, en prenant garde de ne pas perturber ceux qui sont plongés dans la prière ou dans la dévotion contemplative. »

Les moines de Montserrat ont donc estimé qu’une autorisation encadrée était préférable à une interdiction pure et simple.

La simplicité relative de ces cantiques, couplée à de fortes mélodies, explique l’engouement postérieur de l’ouvrage. De nos jours, ils figurent parmi les pièces anciennes les plus souvent enregistrées.

Danser le Llibre Vermell ?Oui, mais comment ? En l’absence de description des pas, il ne nous reste qu’une seule contrainte : respecter les principes indiqués dans le manuscrit :« à danser en rond».

Cela signifie-t-il pour autant que nous soyons contraints de nous contenter de sortes de branles ?Que nenni. Avec notre chorégraphe, Christine Grimaldi, nous considérons que si la forme générale (danse en rond) a lieu d’être respectée, nous avons assez de possibilités chorégraphiques que pour éviter de nous enfermer dans le genre branle. Nous parlerons donc de chaîne ouverte ou de chaîne fermée, de danse respectant un déroulement général « en rond», tout en conservant notre liberté de pas et de mouvements.

Un beau discours, c’est peut-être très bien…La pratique, c’est bien mieux. C’est la raison pour laquelle nous mettons sur pied un stage d’une demi-journée afin d’aborder l’essentiel des danses du Llibre Vermell. En fonction de la rapidité d’apprentissage, nous examinerons la possibilité d’une seconde séance.

Jean-Marie Dontaine

 

(paru dans le Canard Folk de février 2016)