Ce n’est pas tous les jours qu’un groupe wallon sort un nouvel album. Nous vous avons présenté le mois dernier « Plumestra », l’excellent petit dernier du trio Balbuzar. C’était le moment d’interviewer le groupe. Voilà chose faite, collectivement par e-mail en ce mois de novembre.

Marc Bauduin

 

Q : Rappelez-nous d’où vient le nom, cool mais un peu étrange, du groupe. Ce n’est pas le roi Balthazar qui balbutiait, ni un bal bizarre dans le blizzard ?

R : Au départ, nous souhaitions que le mot « bal » soit au cœur du nom du groupe car c’est clairement pour le bal folk qu’il existe, ensuite est venue l’idée du balbuzard, aigle pêcheur, et cela nous a plu. Le rapport entre la musique folk et la nature, la liberté de l’oiseau, la force du rapace et la finesse de sa silhouette sont des éléments qu’on peut retrouver dans notre façon de jouer.

Q : Une brève bio de chaque musicien, et comment vous vous êtes rencontrés ?

Fredo Zupi : Je suis actif dans le folk depuis 15 ans, j’y ai pris goût grâce aux stages de Neufchâteau que j’ai suivis pendant des années. A la base ma formation est autodidacte, avec quelques cours particuliers de classique et de folk. Je ne sais toujours pas lire de partitions à vue, je fais tout d’oreille et d’instinct, et ça me convient ! J’ai joué et composé dans des groupes comme Gaïa, Neniva, Onirim, Baila Tocamos, Transat etje joue actuellement dans le trio de Perry Rose avec Jonathan De Neck.

Jonathan De Neck : J’ai commencé l’accordéon à l’âge de 8 ans, comme élève d’Alix Colin, de Marinette Bonnert et de Louis Spagna. J’ai ensuite continué ma formation au Conservatoire Royal de Liège, d’où je suis sorti diplômé en 2009 en composition, improvisation et pédagogie. J’ai fait partie de différents projets, folks ou moins folks : Dazibao, Knopf Quartet, Ialma, Récital Boxon, … et j’ai collaboré avec des compagnies de théâtre en tant que compositeur. Actuellement, en plus de Balbuzar, je suis surtout actif sur scène avec Les Déménageurs (projet pour enfants) et le Diab Quintet. J’enseigne l’accordéon et le jeu d’ensemble à Gooik, à Gand et à l’IMEP à Namur.

Renaud Baivier : Baigné dans la musique dès mon plus jeune âge, je me suis rapidement passionné pour les tambours. Ensuite, j’ai découvert les percussions afrocubaines avec Frédéric Malempré et j’ai alors occupé la place de percussionniste au sein de divers groupes dans des styles musicaux allant du rock au jazz en passant par la musique trad et la variété. Des percussions dites « traditionnelles » à la batterie, il n’y a qu’un pas et je l’ai franchi en 1998. Depuis, j’occupe les deux postes dans diverses formations musicales : 2004 – KVMB (folk trad) / 2008 Bal en Scène (ancêtre de Balbuzar). En parallèle à la musique traditionnelle, j’explore les musiques urbaines en rejoignant Atomic Spliff (ragga hiphop) et j’y trouve une nouvelle façon d’exprimer la rythmique en général.
C’est donc naturellement que j’en suis arrivé à allier les genres en soutenant les musiques traditionnelles avec les rythmiques plus modernes issues du milieu urbain, donnant ainsi l’énergie suffisante pour accompagner les mélodies proposées par mes deux comparses de Balbuzar et faire bouger les foules sur les parquets.

La rencontre : le projet existait déjà sous le nom de « Bal en Scène ». Quand il a cessé, nous avons décidé de continuer à trois avec Simon Gielen. Après quelques années, Simon a décidé de partir tout en nous mettant en contact avec Jonathan.

Q : Par rapport aux débuts du groupe en 2009, quelle a été l’évolution du répertoire ? Un pourcentage accru de compositions ? En restant sur les mêmes danses occidentales, ou bien y a-t-il eu là aussi une nette évolution ?

R : En effet, il y a une évolution vers plus de compositions et des arrangements plus poussés, parfois avec des influences plus jazz. Nous avons une envie naturelle de composer, de partager, d’adapter.
Nous sommes toujours dans l’idée que notre musique doit être faite pour les danseurs, et que cela n’empêche pas qu’elle soit riche dans les arrangements pour que ceux qui écoutent s’y retrouvent également. On évite d’avoir de longues parties musicales où les structures se répètent suivant le format « AB AB AB … ». Nous avons envie qu’il se passe des choses, de surprendre les oreilles 🙂

Q : Quelle est votre position par rapport aux musiques et danses « wallonnes » ? Ressentez-vous une obligation d’en faire, ou bien est-ce dépassé/ringard … ?

R : C’est une partie de notre patrimoine, le terreau dans lequel nous avons grandi musicalement et évolué. Je pense que même si nous ne les jouons pas dans Balbuzar, il y a toujours une influence de ces musiques sur notre façon de composer et de jouer. Mais nous pensons également qu’il y a déjà des groupes qui proposent cela à leurs danseurs et nous avons juste envie de faire autre chose. Donc non, ce n’est pas une question de « ringard », plutôt un choix artistique de créer et d’explorer davantage.

Q : Composez-vous aussi pour l’écoute, sans que ce soit nécessairement dansable ? Autrement dit, développez-vous une activité de concerts ?

R : Au départ, toutes les compositions sont destinées à la danse. Nous partons des repères d’une scottisch par exemple et on se laisse aller à créer des mélodies. Mais il est vrai qu’on a déjà pensé (surtout maintenant avec l’actualité sanitaire) qu’une partie de notre répertoire serait adaptée pour donner des concerts, éventuellement avec un ou deux musiciens supplémentaires, et bien entendu un remaniement des arrangements.

Q : Comment les arrangements ont-ils évolué ? Avez-vous fait appel à l’un ou l’autre musicien expérimenté pour donner un coup de pouce ?

R : Le fait que Jonathan arrive dans le groupe a changé les couleurs et les directions de certains morceaux. C’est normal, nous avons tous des sensibilités et des parcours différents. Sa connaissance approfondie de la musique et de l’harmonie nous permet de faire sans cesse de nouvelles choses. Nous n’avons pas fait d’appel extérieur pour cela.

Q : Comment se passent l’adoption d’un nouveau morceau et la mise au point de son arrangement ?

R : Un de nous trois arrive avec des propositions au stade embryonnaire. Parfois une structure complète, parfois juste une suite de notes. Ensuite, nous la partageons et voyons ce qu’on peut ajouter, une deuxième voix, un « contre », une rythmique intéressante. Une fois que nous avons plusieurs matériaux dans la boîte, nous passons à l’arrangement où nous emboîtons toutes ces parties en faisant des essais. Parfois, tout fonctionne du premier coup, parfois il faut repasser par la case de création pour étoffer. Il arrive aussi que du matériel musical soit mis de côté car pas assez intéressant. Ce sont les « chutes » de notre menuiserie musicale. Ensuite il faut jouer et répéter cet arrangement intensivement pour que cela devienne naturel. Nous n’avons pas de partition sur scène.

Q : Vous êtes tous les trois professionnels. En dehors de la période de restrictions actuelle, est-ce que la musique folk suffit à vous faire vivre, ou bien avez-vous des activités complémentaires (comme indépendant ou non) ?

R : Epineuse question. Nous avons tous les trois des statuts différents. Actuellement il est impossible de ne vivre qu’avec les rentrées musicales (déjà en temps normal ce n’est pas le cas). Il est alors indispensable d’avoir des rentrées supplémentaires par des cours donnés et des compléments de chômage quand c’est possible. Nous investissons également sur fonds propres pour la promotion du groupe et la création de notre album « Plumestra ».

Q : Les restrictions actuelles ont-elles eu pour effet de développer d’autres manières de faire de la musique et de faire danser ? Ou bien est-ce le calme plat ? Comment envisagez-vous la promotion du cd : des tournées à l’étranger ?

R : Pour le moment, c’est le calme plat, il faut bien le dire. Toutes nos dates sont annulées ou reportées, y compris les événements privés tels que les mariages. Nous attendons, comme d’autres, d’avoir une perspective de reprise pour nous relancer dans la promotion du groupe avec l’album en support. Mais cela fait des années que nous souhaiterions qu’une autre personne le fasse (un(e) booker), car c’est toujours plus facile de « vendre » le projet d’un autre que le sien. Pour l’instant, c’est donc le bouche à oreille qui fonctionne, mais il est vrai que nous aimerions aller plus loin dans la démarche.

Q : Quelle serait votre définition de la « musique folk » et de la « musique trad » ? Comment qualifieriez-vous votre musique : folk, trad, d’inspiration trad, roots, du monde, néo-folk … ?

R : C’est toujours difficile de catégoriser… Je pense que nous jouons du folk, avec principalement des influences de musique trad mais aussi un soupçon de jazz, de latino. Nous avons pensé à Neo-Folk, mais cela peut plus faire penser à de la musique électronique et/ou contemporaine, et nous n’en sommes pas là actuellement.

 

(Article paru dans le Canard Folk de décembre 2020)


Balbuzar : Plumestra

Fondé en 2009, le trio wallon s’est dès le départ focalisé sur les bals avec des arrabgeents originaux et des compositions qui ont progressivement remplacé les mélodies traditionnelles.
Dans ce deuxième cd (mais premier album), les musiciens, tous professionnels, démontrent une belle maturité dans la construction des arrangements, en arrivant à produire un univers sonore plein, chaleureux, propice à la danse et suffisamment varié, bien qu’il n’y ait que deux instruments mélodiques : l’accordéon diatonique de Jonathan De Neck et le violon de Fredo Zupi, intelligemment soutenus par les percussions de Renaud Baivier. Il y a là plusieurs belles compositions dont la scottische “Swedish” (avec un passage de type est-européen au violon !), un net espace pour l’improvisation dans la suite de bourrées “Dégel – Bounce up”, un amusant babillage instrumental dans “Capitan” … Reste que le lancement d’un cd s’accompagne classiquement d’une tournée de concerts ou de bals, que les mesures restrictives actuelles rendent difficile. Raison de plus pour soutenir un excellent groupe wallon et, qui sait, danser à la maison sur ses andros, scottisches, rondeaux, polskas, gigues, bourrées et autres valses à 8 temps ! (la commande en ligne est possible sur www.balbuzar.be)

(Ce compte rendu de disque a paru dans le Canard Folk de novembre 2020)