Le groupe wallon Ceili Moss a sorti récemment son troisième cd intitulé “On the Shore” (voir le Canard de novembre dernier). C’est une belle performance, l’occasion aussi de faire plus ample connaissance …

M.Bauduin

Q : Le ceilidh, c’est l’image de la grosse fête écossaise, où l’on danse, où l’on boit. Votre premier cd, en 2001, s’intitulait d’ailleurs « Be There & Be Drunk ! ». Sans forcer le trait, cela représente-t-il bien l’ambiance que vous mettez : on prend son pied sans complexe, avec plein d’énergie ?

Michael Goffioul : On essaie de faire de notre mieux. On essaie aussi de s’adapter au cadre du concert ; parfois nous jouons dans des ambiances feutrées et plus intimistes où « mettre le feu » n’est pas toujours très approprié. Mais d’une manière générale, notre but est quand même de s’amuser en concert, et que le public s’amuse aussi ! Pour ma part, je suis content quand je vois ne fût-ce qu’une personne battre dans les mains ou taper du pied en rythme J

Laurent Leemans : C’était plus vrai à nos débuts, en 1996 et pendant les 5-6 premières années d’existence du groupe. On jouait principalement des traditionnels, des morceaux festifs, jigs, reels, hornpipes etc, et on était assez fidèles à une certaine orthodoxie folk. Ca fait quelques années qu’on va vers quelque chose de différent : d’abord en incluant d’autres infuences : la Bretagne, dont la tradition est assez différente de l’Irlande, l’Europe centrale, les Balkans, la Scandinavie, la musique médiévale, on accentue parfois le côté singer-songwriter. On pourrait aussi dire qu’on s’écarte un peu de notre côté « Pogues » pour se rapprocher de notre côté « Ambrozijn ». On fait aujourd’hui plus de morceaux calmes, on se permet des arrangements plus sobres, moins axés sur l’énergie brute. Il y a cinq ans, je ne crois pas qu’on aurait fait un morceau comme « these are the clouds », avec une moitié de la chanson juste guitare-voix-flûte, on se serait crus obligés d’empiler les couches d’instruments ! Ca traduit probablement une plus grande confiance en nous. Mais un bon gros «drunken sailor » avec tout à fond, c’est toujours le pied en fin de concert !

Yves Van Elst : oui, je crois en tous cas qu’on essaye de mettre autant d’énergie dans la musique qu’on joue que celle qu’on aimerait retrouver chez un groupe qu’on va écouter… L’espoir c’est de voir les gens s’amuser et danser…. Même si on n’explique jamais une danse….

Laurent Leemans, Michael Goffioul, Mathieu Collard, Jérémy Pinera, Sophie Toth, Benjamin Delforge, Yves Van Elst

Q : Quelle étiquette mettriez-vous sur votre répertoire : traditionnel, folk, folk-rock, … ? Comment a-t-il évolué ? Et comment avez-vous connu le milieu folk ?

Yves Van Elst : Oserais-je dire qu’il était trad, pour aller vers le folk et finalement un mélange de folk et de folk-rock ??? Sinon, le folk c’est via Ceili Moss

Laurent Leemans : Dans notre bio, on se décrit comme « folk-rock acoustique sous inspiration celtique et pan-européenne, qui ne craint pas de brouiller les pistes et les frontières des styles ». Clairement, nous sommes dans une lignée folk, pas complètement trad-orthodoxes, mais pas non plus avant-gardistes. Ma découverte du folk s’est faite en partie à l’adolescence, où j’ai découvert quelques-uns des grands noms comme Alan Stivell, les Pogues, Clannad, Malicorne ou Tri Yann, et en partie une fois que je suis arrivé dans Ceilí Moss, par l’entremise de Benjamin et Yannick, qui s’y connaissaient bien mieux et qui m’ont fait découvrir plus en profondeur (j’ai pour ma part un background plutôt rock alternatif).

Michael Goffioul : Notre répertoire est basé sur le folk, mais reste très éclectique, vu les divers horizons des différents membres du groupe. D’une base plutôt tournée vers l’Irlande, des influences externes et plus exotiques se font de plus en plus sentir. D’autre part, l’introduction de la batterie a donné une couleur nettement plus rock à toute une série de morceaux.

Q : Qui compose ? Comment se passe le processus de composition et d’arrangement ?

Laurent Leemans : La composition est le plus souvent collective : quelqu’un vient avec une mélodie, parfois avec une suite d’accords et on cherche ensemble en répète. On ajoute un peu de ça, on définit une structure, on crée un arrangement, on se demande si on en fait un instrumental ou un morceau chanté… Il est rare que quelqu’un vienne avec un morceau « clef sur porte », un arrangement complet où il n’y a plus rien à modifier. Michael fait ça parfois, par exemple avec « suil a ruin » sur notre CD précédent, ou avec « Emerald », sur « On the shore », mais il faut dire que Michael est notre expert ès arrangements ! Il a une oreille incroyable pour ça.

Michael Goffioul : Etant un des piliers de l’harmonie (au sens musical), je me préoccupe plus souvent de l’orchestration et de l’harmonie, que des lignes mélodiques (bien que cela m’arrive aussi parfois). Mais globalement, cela reste un travail d’équipe. Pour le chant, c’est plutôt le domaine privé de Laurent, et il fait ça très bien !! J

Q : Quels sont les thèmes que vous abordez dans vos chansons ? Pourquoi avez-vous souhaité chanter en français, en anglais et en néerlandais ?

Laurent Leemans : Le choix des langues n’est pas délibéré. Je chante dans la langue qui me vient à l’esprit au moment où on compose. Je fais des « nanana » et souvent, à un moment, un bout de phrase va émerger, et à partir de ça, le texte se construit. Parfois, en 10 minutes l’affaire est bouclée, parfois, il y a des textes que j’ai écrits il y a quatre ans et que je modifie encore parce que je n’en suis pas complètement satisfait.
Pour ce qui est des thèmes, dans les traditionnels, il y en a trois principaux : être bourré, botter le derche des Anglais et ne pas pouvoir épouser celle qu’on aime et par conséquent soit se jeter dans la rivière soit prendre le bateau pour l’Amérique… C’est moi qui écris tous les autres textes et j’y parle de choses qui me font réagir. Il y a des chansons d’amour, des délires comme « l’esprit de famille » (un personnage massacre toute sa famille parce qu’il en a marre que tout le monde fasse du bruit alors qu’il voudrait faire une sieste. Pas autobiographique !!!), de plus en plus de chansons sur la religion, la télé, l’ignorance et la bêtise en général. J’admire énormément des gens comme Morrissey (ex-chanteur des Smiths), Pierre Desproges, Neil Hannon (de Divine Comedy), Mano Solo, des gens qui savent dire des choses extraordinairement percutantes avec du style et de l’ élégance, je vomis par contre la chanson bien-pensante hyperglycémique à la noix façon Axelle Red ou « we are the world ». Beurk, beurk et beurk !

Q : Nous avons noté que Ceili Moss a été fondé en 1994 par Yannick Sterpin et Benjamin Delforge. Bien que Yannick ait quitté le groupe en 2005, vous avez eu apparemment beaucoup plus d’arrivées que de départs, puisque vous êtes 7 actuellement. Ça se passe bien, à 7 ? Pas de problèmes de répétitions (êtes-vous tous du même coin ?), pas de problèmes de salles (les scènes des cafés sont petites) ?

Michael Goffioul : C’est pas toujours évident à gérer, et c’est difficile de réunir tout le monde pour les répétitions hebdomadaires. Mais de plus en plus, nous essayons d’être capables de fonctionner en effectif réduit quand c’est nécessaire (avec 1 ou 2 membres en moins), surtout pour les concerts. Réunir 7 personnes n’est pas facile et nous ferions beaucoup moins de concerts si nous n’étions pas un peu flexibles. Pour le moment, ça marche plutôt bien. Le local de répétition, situé entre Namur et Bruxelles (qui sont les 2 implantations principales de Ceili Moss) est bien situé. Par contre pour les scènes, c’est vrai qu’à 7, plus une batterie, on se marche parfois un peu dessus. Mais on arrive quand même à jouer sur un mouchoir de poche, on s’adapte…

Laurent Leemans : c’est pas toujours évident de réunir tout le monde, c’est vrai. On a tous un travail et plusieurs ont des enfants, alors il n’est pas rare qu’on répète avec 2-3 membres absents. Pour les concerts, comme ils sont planifiés longtemps à l’avance, le problème est moins fréquent, mais se pose parfois, c’est pourquoi on a officialisé le fait que Ceilí Moss puisse être à géométrie variable. On va parfois jouer en comité restreint, quitte à adapter les arrangements, mais évidemment, il faut que l’organisateur soit d’accord et que cela soit signalé, afin que le public ne se sente pas floué. Ça dépend aussi de qui est indisponible : on peut jouer sans Benjamin ou sans Mathieu, puisque le violon peut facilement remplacer l’accordéon et vice versa, mais pas sans les deux !
La taille des scènes ? Déjà, les organisateurs savent que nous sommes 7, donc je suppose qu’ils en tiennent compte. Il y a ce café à Liège, le Shamrock, rue St-Gilles, où on a joué plein de fois quand on était trois ou quatre. C’est clair qu’on ne pourrait plus y jouer aujourd’hui ! Ou alors, justement, en formation réduite. Sinon, on se serre un peu et on fait gaffe de ne pas éborgner le voisin avec son manche ou son archet !

Q : Le café L’Eblouissant, à Namur, vous a laissé une marque durable. Vous pouvez expliquer ? Comment était ce lieu, comment était son patron ?

Michael Goffioul : Benja en parlera beaucoup mieux que moi…

Laurent Leemans : Le Moss de notre nom vient du surnom d’Alain Mossiat, le boss (« the Moss is the boss ») du café. Il vit aujourd’hui en Irlande. On y a fait nos premières jams, nos premiers concerts, à l’époque où on n’avait pas encore de nom, on y a appris les bases et usé nos culottes courtes (snif..). C’était un très chouette café, plutôt atypique, surtout dans une ville aussi sage que Namur. Ses principales caractéristiques étaient une carte des bières incroyablement variée dont beaucoup qu’on ne trouvait nulle part ailleurs à Namur, comme la Caves de Lier, la Bourgogne des Flandres, j’en passe et des meilleures, une carte petite restauration épatante de qualité et surtout Alain Mossiat. Sur la carte, il était indiqué que « la devise « le client est roi », c’est bon pour les supermarchés, ici, le patron a toujours le dernier mot » donc si vous vous pointiez pour commander un coca light, vous aviez de grandes chances de vous prendre une remarque acide de sa part. Moss avait ceux qui le vénéraient et ceux qui ne pouvaient pas le sentir, mais l’Eblouissant était un endroit avec une âme et de la personnalité. Tout le contraire des endroits branchouilles style les cafés 100% marketing autour des halles St-Géry à Bruxelles.

Q : Vous n’êtes pas membres de la Sabam ni d’autres associations similaires. Pourquoi ? Est-ce de la modestie ? Que pensez-vous du système de droits d’auteurs, et de la manière dont il est perçu par la Sabam ?

Laurent Leemans : C’est juste parce que la cotisation annuelle de la Sabam nous coûterait plus cher que ce que nous rapporteraient les droits d’auteur… Et quant à la protection contre le plagiat, d’abord, il faudrait que quelqu’un ait envie de nous plagier. Ensuite, la Sabam n’est pas la seule manière de protéger ses morceaux : on peut aussi les déposer chez un notaire. Et puis nous avons un côté farouchement indépendant, qui fait que nous ne cherchons pas à signer un contrat avec un label, que nous faisons notre propre management, notre booking, qu’on finance nos cd sur fonds propres, etc. A notre niveau, il me semble qu’il y a plus de contraintes que d’avantages.

Michael Goffioul : D’une manière générale, la Sabam nous coûte plus qu’elle ne nous rapporte, le calcul est vite fait… D’autre part, le caractère exclusif de la cession des droits d’auteurs à la Sabam a quelque chose de fondamentalement dérangeant. Devoir demander l’autorisation pour jouer ses propres compos, ça ne nous plaît pas. Pour un groupe amateur comme le nôtre, la Sabam nous a créé plus d’ennuis que de bénéfices.

Yves Van Elst : Fuck the Sabam. Ça il faut pas le dire…. Ils sont pas honnêtes… enfin eux oui, mais le système de répartition non !!! Sinon, c’est pas une question de modestie… enfin je ne crois pas…. C’est sans doute une question de paperasseries… On fait de la musique .barre

Q : Même si vous êtes plutôt orientés concerts, il n’est sans doute pas rare que des gens dansent sur votre musique. Que pensez-vous de cet aspect « danse » ? Annoncez-vous les danses, les expliquez-vous parfois ?

Michael Goffioul : L’aspect « danse » reste un petit peu notre point faible. Nous ne sommes pas vraiment des danseurs et nous ne connaissons pas les danses traditionnelles. Mais on est ravi quand on voit des gens se mettre à danser, c’est très motivant (on allonge souvent un peu le morceau, histoire que les gens en profitent bien…)

Laurent Leemans : Tout dépend du contexte. On joue assez souvent dans des cafés, où il n’y a pas d’espace prévu pour danser. Et on a un péché qu’on essaye de corriger, sans y arriver toujours : on a tendance à jouer à un tempo très rapide, trop pour être encore dansable… Quand le contexte s’y prête, on encourage les gens à danser, on dit que tel morceau est une jig, une valse ou un an dro, mais c’est le public qui décide s’il danse ou pas.

Q : Quels sont vos projets ? Jouer à l’étranger, devenir plus sérieux ( avec l’âge ??), faire évoluer le répertoire, … ?

Michael Goffioul : « Folk » et « sérieux » ne sont-ils pas contradictoires ? J Pour le moment, nous sommes repartis dans une phase de création plus intense (avec la production du cd, celle-ci avait été ralentie). Ce serait chouette de jouer à l’étranger, mais d’un point de vue pratique, cela s’avère parfois compliqué. Ceili Moss n’est qu’une activité secondaire, nous avons tous un travail, une famille, parfois des enfants… Quand c’est juste de l’autre côté de la frontière, c’est faisable facilement (et ça nous est déjà arrivé), mais s’il faut prévoir plusieurs jours, c’est tout de suite plus complexe. Mais l’idée de partir une fois en camionnette et de faire un petit tour en Bretagne trotte parfois dans les esprits !

Yves Van Elst : Continuer à évoluer et dans les concerts et dans le répertoire. Devenir plus sérieux ( ??) Pour quoi faire ????

Laurent Leemans : Jouer des concerts régulièrement, acquérir assez de notoriété pour jouer dans des conditions les meilleures possibles, mais suffisamment peu pour ne pas interférer avec nos vies familiales, refaire un cd peut-être en 2008 (on a déjà une dizaine de nouveaux morceaux en cours de finition), faire évoluer notre musique, élargir notre spectre musical, d’influences, me perfectionner à la gratte (j’ai repris toutes les parties de guitare après le départ de Yannick, et il y en a certaines que je ne maîtrise pas encore comme je le souhaiterais), mais d’abord et avant tout s’amuser et faire en sorte que le plaisir qu’on prend à jouer soit contagieux ! Si j’avais un fantasme, ce serait jouer à l’Ancienne Belgique. Quand j’étais plus jeune, j’y ai vu la plupart de mes idoles et y jouer à mon tour, ce serait le mégakif de la mort qui tue ! )

(Interview paru dans le Canard Folk en février 2007)