Les jeunes s’emparent de la musique traditionnelle wallonne, et c’est très bien ainsi. Depuis quelques années, plusieurs éminents musiciens à la barbe grisonnante nous ont quittés pendant que des jeunes, mine de rien, montraient qu’eux aussi étaient intéressés par ce patrimoine musical wallon. Cela avait commencé avec la très active Marinette Bonnert. Sont venus ensuite, discrètement, quelques musiciens comme le groupe Trio14, entre autres, tandis que quelques groupes vétérans et/ou formés de vétérans (Trivelin, Salon Ambroisine, Wall Street …) poursuivaient leur travail.

Et voilà que, nouvelle étape dans ce processus de rajeunissement, deux jeunes musiciens wallons idéalement placés voudraient rendre plus accessibles les collectages et reçoivent un accueil attentif dans les chaumières … Pendant ce temps, un navetteur néo-troubadour profite de ses heures quotidiennes de train pour encoder des manuscrits wallons. Mais on ne sait pas encore grand-chose de nos “ménétriers” wallons”; et si un mémoire universitaire étudie les bals folk à Bruxelles, ce n’est certes pas sous cet angle. Pourtant, c’est plus qu’un frémissement qu’on ressent : c’est bel et bien une vague de fond. Les pièces d’un grand puzzle se mettent en place …

Marc Bauduin

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Q : D’où vous vient cette idée de projet wallon ? Vous êtes vous-mêmes musiciens ?

R : Oui, Julien au violon a d’abord joué de l’irlandais avec des amis, puis du bal folk surtout français, et s’est mis ensuite au répertoire wallon. Il fait partie du groupe Trio14. Marie-Hélène joue du piano, mais elle a commencé l’épinette avec André Deru, la cornemuse à l’académie d’Eghezée, elle a joué de l’accordéon dans Au Pied Levé et dans Arcamuse avec Julien. A nous deux, nous avons voulu entendre des collectages de musiciens wallons. Problème : ces enregistrements sont très difficiles d’accès, car ils sont totalement dispersés, chez des particuliers ou dans les réserves d’institutions publiques. D’où ce projet : vouloir rendre plus accessibles les collectages, ce qui ne veut pas dire que nous voulons tout rassembler physiquement.

Q : qui dit projet dit dépenses …

R : En effet. Il se fait que nous travaillons à l’Institut Supérieur de Musique et de Pédagogie de Namur (IMEP), dont nous gérons la médiathèque. Peu à peu, nous nous sommes dit que ce projet pourrait se faire à l’IMEP car l’enseignement et les musiques traditionnelles peuvent vraiment se nourrir l’un l’autre – on connaît l’exemple de Kodaly en Hongrie, mais il y en a aussi d’autres en France. Le directeur s’y montre favorable aux deux volets : l’accès aux collectages via le net, et des projets pédagogiques en lien avec ces collectages. On en arrive aussi à imaginer faire de la recherche.

Q : Quel est le public qui vient se former à l’IMEP ? Est-il demandeur de répertoire wallon ?

R : Le public de l’IMEP est composé de futurs :
• Musiciens professionnels
• Profs de musique du secondaire
• Profs de « formation musicale » en académie (c’est le nouveau nom du cours de solfège)
• Profs d’instruments
• Profs qui donneront cours de musique aux instituteurs

Si tous ces futurs profs se servent du répertoire traditionnel, c’est génial !
On proposera par exemple des sélections de chants que nous retranscrirons. Nous l’entendons souvent, beaucoup d’enseignants seraient heureux de retrouver une origine locale aux chansons qu’ils apprennent à leurs élèves. Ainsi, Françoise Lempereur est souvent contactée par des instituteurs qui cherchent du répertoire. Disons qu’il s’agit plus de chants traditionnels « de Wallonie » que de chants « wallons ». Nous voulons éviter l’identitaire ainsi que le purisme.
Remarquons que nous avons des années de retard sur la France, comme nous avons pu le constater lors d’un stage d’une semaine à la Maison du patrimoine oral en Bourgogne. La France est en train de mettre à disposition des collectages bruts par région.

Q : Cela fait longtemps que plusieurs musiciens éminents ont tenté, sans succès, de relancer l’intérêt pour la musique traditionnelle wallonne. Pourquoi cela fonctionnerait-il mieux maintenant, avec vous ?

R : Le constat est le suivant : beaucoup de gens ne jouent pas de wallon car ils ne le connaissent pas. C’est un cercle vicieux : peu de gens le pratiquent, donc peu en ont envie. Aujourd’hui, avec le numérique, nous avons un moyen fabuleux pour faire mieux connaître le répertoire. Ce n’était pas le cas jusqu’il y a peu, la technologie a évolué très vite.
Cela dit, un site internet ne suffira pas. D’où l’importance des prolongements pédagogiques qui se feront à l’IMEP, et des activités déjà organisées depuis longtemps par certaines personnes ou structures très dynamiques.
Nous savons que beaucoup de gens ont déjà défendu la musique wallonne avant nous, nous ne voulons pas donner l’impression qu’il y a eu des erreurs dans le passé. Nous restons modestes, et nous nous faisons aider.
Nous avons contacté, via des intermédiaires, les principaux détenteurs d’archives et collecteurs, et on peut dire que les premiers contacts sont bons et riches sur le plan humain. Le MIM a beaucoup de copies de collectages, mais elles sont soumises à des droits car le collecteur est assimilé à un créateur, ce qui est normal. Il nous faut donc la pleine collaboration des collecteurs.

Q : Et donc, par quel type de collectage pensez-vous commencer ? Avez-vous déjà un planning en tête ?

R : Le plus urgent, ce sont les collectages sonores, car ils se conservent moins bien. Les collectages sur support papier ne sont pas prioritaires, car ils sont souvent à l’abri dans des bibliothèques. Les manuscrits, déjà bien connus grâce à Albert Rochus puis Olivier Vienne, viendraient en troisième position.
Par ailleurs, nous avons demandé un subside pour le site à la Communauté Française. Nous espérons avoir fin décembre une première version du site. Ensuite, il faudra l’alimenter : numériser, rédiger des fiches explicatives, procéder à un long travail de découpage. Nous sommes déjà en train de numériser des chansons recueillies par Françoise Lempereur. Mais nous attendrons – peut-être un an ? – que le site soit suffisamment alimenté avant de le présenter au public. Nous préférons nous donner le temps, d’autant que nous avons aussi notre travail à la médiathèque.

Q : Encore quelques mots, des choses qui vous plaisent, ou dont vous rêvez ? Et pourquoi avoir choisi le nom Melchior ?

R : Au Musée de la Vie Wallonne, nous avons rencontré une jeune équipe très chouette et dynamique. Ils ont tout fait numériser, ils ont probablement des collectages de Roger Pinon et de Rose Thisse-Derouette. Ce genre de rencontre rend le projet très riche sur le plan humain.
Melchior : il n’y a pas d’acronyme, c’est juste un nom que nous aimions bien, et qui en plus fait penser à l’accordéoniste wallonne Elisabeth Melchior.
Un rêve : renforcer l’équipe, avoir quelqu’un qui ne serait payé que pour ça, par des subsides. Mais il faut d’abord donner du crédit au projet. Projet que nous avons présenté au festival de Marsinne le samedi 7 septembre à 13h.