Ciapa Rusa Stranot d’amur

On a déjà eu l’occasion de parler – trop brièvement de ce superbe groupe italien , lors de la présentation de ses deux disques 33 tours « Stranot d’amur » et « ten da chent l’archët •••  »

Le stage de musique et danse traditionnelles de Galmaarden, dont il faut souligner l’importante activité guidée par Herman Dewit, a invité ce groupe au mois d’août dernier.

Durant deux jours, les quatre membres de la Ciapa se sont mêlés aux stagiaires de Galmaarden, en leur apprenant parfois quelques airs italiens. Ilss y ont finalement donné leur premier et unique concert en Belgique, qui a soulevé l’enthousiasme général et ont animé une partie du bal qui suivait. C’était bien sûr l’occasion de faire plus ample connaissance avec eux, malgré l’horaire et les embûches de la langue…

Le groupe est composé de Beppe Greppi (accordéon diatonique) , Maurizio Martonotti (vielle, mandoline),Gerardo Catdinale (flûtes, piffero) et Maurizio Padovan (violon).

Beppe Greppi et Maurizio Martinotti sont professionnellement très actifs en matière de collectage, dans le cadre du centre de culture populaire G.Ferraro; c’est principalement avec eux que l’interview s’est déroulée. Maurizio Padovan est surtout professeur de violon;il joue essentiellement de la musique baroque et « de temps en temps, du folk, comme maintenant », dit-il.

Quant à Gerardo Cardinale, c’est un extraordinaire musicien. 11 est dommage que son jeu, dans l’enregistrement du disque « Stranot d’amur », soit tellement contenu, car ceux qui ne l’ont pas vu jouer en public ratent ainsi deux aspects essentiels de ce phénomène.

Autant, en effet, sa ma1trise de l’instrument est remarquable – ses variations de nuances et d’ornementations insufflent une vie incroyable à l’ensemble – autant son jeu scénique fait de lui un pôle d’attraction visuelle.

Sous son impulsion, ce qui était au départ un simple bout de bois percé de trous devient, comme par magie, vivant, autonome, se cabrant dans les fortissimo, tournoyant dans les passages plus torturés, voltigeant à gauche, à droite, et finissant ses interventions en plongeant vers le sol, comme pour s’échapper des lèvres du musicien. Un magnifique exemple actuel de musique traditionnelle, qui s’intègre admirablement dans le jeu d’ensemble du groupe.

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Q: Parlons tout d’abord de votre travail de collectage: dans quelle région réalisez-vous ce travail, et que recherchez-vous exactement ?

R: Nous collectons tout d’abord dans notre province, qui est celle d’Alessandria, donc une partie du Piémont, dans le nord-ouest de l’Italie, mais également dans des régions voisines telles que les vallées des Apennins, de façon à englober une aire culturellement homogène.

Nous recherchons bien sûr des chants, musiques et danses traditionnels, mais là ne s’arrête pas notre travail. Plus généralement, nous voulons reconstituer et divulguer une image,aussi fidèle que possible, de la culture populaire traditionnelle.

Les témoignages portant sur les conditions de vie et de travail sont, à notre avis, partie intégrante de la culture populaire, ni plus ni moins qu’un chant ou un proverbe; et c’est la juxtaposition de ces divers éléments qui permet de mieux comprendre cette culture.

Un exemple particulièrement significatif est celui d’un chant de travail agricole qui, dans diverses parties de l’Alessandrino, accompagne les opérations d’effeuillage des épis: il ne peut réellement être compris sans imaginer simultanément cette pratique manuelle.

Ciapa Rusa ten da chent l’archët

Q: Qu’avez-vous rencontré comme musiciens traditionnels? Se partagent-ils en différents styles?

R: Nous avons rencontré beaucoup de musiciens, qui jouaient surtout du piffero, du violon, de la guitare, de la mandoline, de l’accordéon ••• Oui, ils ont des choses en commun, mais il y a aussi différents styles, différentes écoles.

Pour le piffero, qui est un instrument à anche double, une sorte de hautbois populaire, il existe un style plus ancien, dans la Valle Staffora, où le répertoire est d’ailleurs généralement ancien, alors que dans la Valle Trebia on trouve un style plus moderne •••

Q: L’accordéon que vous employez est un diatonique à deux rangées. Cela correspond-il à votre collectage ? L’accordéon à un rang et demi, des Abruzzes, n’est-il pas répandu dans toute l’Italie?

R: Non, le diatonique des Abruzzes est limité au centre et au sud de l’Italie. Nous avons rencontré évidemment beaucoup d’accordéons chromatiques, mais aussi des accordéons avec 36 ou 48 basses chromatiques et un clavier diatoniq~e à droite. Un musicien joue encore d’un tel instrument dans la Valle Chiesone. Le diatonique à deux rangées est également traditionnel.

Q: Vous avez rencontré aussi des chanteurs et des danseurs …

R: Oui. En fait, dans ces petits villages perchés sur des collines, les chanteurs sont beaucoup plus nombreux que les musiciens et que les danseurs. Nous avons néanmoins réalisé de nombreux films vidéo montrant des danseurs traditionnels en action, ce qui n’avait jamais été fait auparavant.

Q: En Belgique, on conna1t surtout la tarentelle et le saltarello. Quelles sont les principales danses de votre région, et existe-t-il des groupes de danses folkloriques qui les dansent?

R: La tarentelle est limitée au sud des Apennins. Le saltarello est aussi très populaire au sud des Apennins, mais on le trouve, il est vrai, également au nord. Les principales danses de notre région sont des danses locales telles que la monferrina, l’alessandrina, la giga, la bisagna •••

Il existe des groupes de danses folkloriques, mais ils exécutent les danses de manière très standard, alors qu’il peut y avoir beaucoup de variantes. Ainsi, la monferrina se danse de deux ou trois manières tout à fait différentes, avec des pas différents, des figures différentes et des musiques différentes.

Q: Comment est ressentie la musique folk par le public italien? Passez-vous à la radio, à la TV ?

R: Il n’y a pas de groupe de musique populaire qui soit très connu en Italie, excepté quelques groupes de chant. Cela n’emp~che que nous passons assez souvent à la radio ou à la télévision, mais c’est en général tard le soir, à un moment où le public est plus restreint.

Q: Y a-t-il d’autres groupes qui font le même genre de travail que vous?

R: Oui, beaucoup de groupes recherchent et jouent les musiques de leur région. Le problème, c’est le style. Le boum de la musique traditionnelle en Italie a commencé par la musique celtique: ces groupes jouent donc la musique italienne un peu comme si c’était de l’irlandaise ou de la bretonne. Le piffero fait penser à la bombarde, la cornemuse « piva » au biniou ….  mais ça évolue favorablement, ce n’est qu’un passage.

Q: Quel est votre public? Faites-vous plutôt des concerts,ou des bals?

R: Nous jouons pour des jeunes, nous sommes aussi régulièrement engagés par des communes pour animer, en été, des fêtes populaires sur les places publiques. Nous faisons surtout des concerts, mais également des danses.

Il y a peu de bals folk en Piémont; dans ces bals, assez proches de la frontière française, nous jouons aussi des danses françaises telles que farandoles, rondeaux, scottisches, pour répondre à la demande. Par ailleurs, nous animons aussi des stages d’instruments et de danses.

Q: Comment se porte la construction d’instruments traditionnels en Italie?

R: Eh bien, pour l’accordéon et le violon, ça marche très bien, merci! (éclats de rire). A part ça, il y a beaucoup de constructeurs de zampogna. Par contre, les cornemuses du nord, la piva (cornemuse soliste) et la musa (jouée en couple avec le piffero) n’en sont qu’au début de leur construction.

Les meilleures vielles sont fabriquées à Modène: nous en utilisons une du fabricant Paolo Corriani, dont nous sommes très contents. Enfin, il y a 3 ou 4 constructeurs de piffero, mais un seul est très bon.

Q: Un prochain disque en vue?

R: Notre troisième disque paraîtra au mois d’octobre de cette année. Nous y sommes accompagnés par deux chanteurs, car ce disque est consacré à des chants, qui ont été collectés dans une partie du Piémont.

Ce sont aussi bien des chants de travail que de danse ou de cérémonie, des ballades, des chants pour enfants ••• Il faut noter que ce disque est entièrement financé par la région du Piémont, en application d’une loi pour la défense du dialecte local.

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J’espère donc pouvoir vous présenter bientôt ce nouveau disque, et vous informer des dates des stages animés la Ciapa Rusa.

Contact: Beppe Greppi, strada Roncaglia 16, 15040 S.Germano (AL), Italie.

Marc Bauduin.

(article paru dans le Canard Folk d’octobre 1985)