Fabricant, vendeur, restaurateur, accordeur et réparateur d’accordéons diatoniques et chromatiques, Iwein Jacobs s’est fait une réputation parmi les accordéonistes. Didier Laloy,Wim Claeys et Bruno Le Tron, entre autres, figurent dans sa clientèle. Il était plus que temps de l’interviewer le 14mai dernier… Cependant, après nous avoir indiqué que le texte de l’interview contenait quelques erreurs, Iwein, malgré plusieurs rappels, n’a pas pu trouver le temps de nous communiquer ses corrections. Les stands dans les festivals, ainsi que la réparation et la construction d’accordéons, prennent beaucoup de temps à cet homme très dynamique. Ce qui suit n’est donc pas une interview, mais le récit de ce qu’Iwein nous a raconté, tel que nous l’avons compris. Et, bien sûr, nos colonnes restent ouvertes à ses éventuelles remarques.
Marc Bauduin
Les origines
Iwein Jacobs vient de la région d’Alost, le plus jeune d’une famille de 8 enfants. Seul son père jouait : il y avait une guitare et un piano à la maison.Il joue de l’accordéon chromatique depuis l’âge de 14 ans, lorsqu’il s’est acheté un petit accordéon piano jouet. Il a pourtant mis très longtemps pour trouver un prof: il avait alors presque 20 ans. Il est passé rapidement à l’accordéon chromatique à boutons et son prof l’a redirigé vers Philippe Thuriaux, qui donnait aussi cours au conservatoire de Gand. Le diatonique, c’est plus tard qu’il l’a découvert, par des contacts avec des musiciens. Il a découvert ses vertus, mais n’en joue pas vraiment.
Il joue de la chanson, de la musique de danse, ce qu’il appelle “folk” au sens de “ce que le peuple connaît”, pour des fêtes de famille, des mariages, des jubilés, … L’autre jour il jouait dans un café sur un petit podium de 20h45 à 1h10 du matin, seul, non stop, pour un public majoritairement de 20 à 35 ans. “Les gens qui viennent au café, ils ne viennent pas pour toi : tu dois avoir un répertoire très large, sentir ce qu’ils apprécient, sentir s’ils ont envie de danser. Je joue donc aussi du twist, du cha-cha-cha, du rock and roll … c’est de l’animation”. Il aime aussi la musique classique, mais n’en joue pas. A l’âge de 5 ans, il accompagnait mon père qui allait chanter,et pense que cela lui a déjà donné un peu d’expérience. Ila même appris à jouerdes basses sur les pédales de l’orgue d’église.
La décision d’ouvrir un magasin
Juste après ses études de technicien A1 en maintenance industrielle, Iwein a trouvé directement du boulot dans l’industrie textile. Il a travaillé 6 ou 7 ans, en voulant souvent changer d’employeur.Et en parallèle, il jouait de l’accordéon, seul ou dans des groupes. Un jour, vers 23 ou 25 ans, un directeur du personnel lui a dit : “Tu es le meilleur candidat, mais je sais que dans maximum 5 ans tu seras parti, donc on ne te prend pas. Tu devrais deveni indépendant”. Dans la firme suivante, même scénario. Il a fini par retrouver du boulot, puis vers 29 ans il s’est rendu compte que ces gens avaient raison. Il s’est alors préparé à ouvrir un magasin, a été chez un maître en Allemagne suivre une formation de base à la réparation d’accordéons. Son but était de faire quelque chose qui l’intéresse, de faire du commerce sans trahir les gens et sans se trahir lui-même, tout en survivant. Et c’est en mai 2003 qu’il a ouvert le magasin, à plein temps. C’était très difficile, les banques ne le soutenaient pas.
Les accordéons Viseur
Iwein a démarré ce projet il y a déjà six ans. N’ayant pas le temps de vraiment construire des accordéons, il fait venir des pièces principalement d’Allemagne et d’Italie (et d’Amérique pourle bois), et réalise lui-même l’assemblage et l’accordage. C’est un diatonique à deux rangs, éventuellement customisable (mettre d’autres anches, une autre finition) mais la plupart des demandes portent sur la version de base qui revient à 800 euros, sac compris. Iwein a fait quelques essais sur des trois rangs mais a abandonné car les exigences sont plus hautes et les séries plus petites, donc il n’est pas possible de faire des petits prix. Il reste donc avec un modèle unique à deux rangs, avec trois couleurs de soufflet. Soit on l’achète à 800 euros, soit on opte pourun contrat de location-achat : 242€ de location pour un an, avec possibilité d’acheter l’instrument au prix de 930€, location incluse.
En moyenne, il en assemble de 100 à 120 par an. Une série de 30 à 40 accordéons prend trois à quatre mois. Il s’agit surtout d’attendre l’arrivée des soufflets, des anches, … ensuite en un jour il peut finir un accordéon. A noter: il vend ces accordéons aussi en France et en Italie.
Le nom de l’accordéon est bien sûr une référence à Gus Viseur, qui est connu dans la partie francophone, mais beaucoup moins dans la partie néerlandophone – Iwein trouvait cette méconnaissance honteuse, c’est pourquoi il a choisi ce nom,pourrendre hommage à Gus Viseur. ”C’est quelqu’un de chez nous qui a laissé un répertoire intéressant et de nombreux bons enregistrements”. En fait, nous dit-il, Gus Viseur est né de parents français sur un bateau à Lessines, et a passé une partie de sa jeunesse en Belgique avant d’aller à Paris. Il est ensuite revenu plusieurs fois chez nous. On peut donc dire qu’il est un peu belge. Maintenant, avec le recul, Iwein se dit qu’il aurait pu choisir un autre nom carles gens pensent qu’il s’appelle Viseur! Mais c’est trop tard, le nom est connu, il ne peut plus reculer.
La vente d’autres accordéons
Iwein vend des accordéons chromatiques et diatoniques (en moyenne en nombre à peu près égal, cela dépend des années), des harmonicas et un peu de systèmes d’amplification. En diatonique, il est importateur exclusif de Saltarelle. Iwein à son stand lors du festival Gooikoorts(mais il fournit quelques magasins en Belgique) et de Castagnari. Les relations personnelles avec les fabricants sont très importantes, nous dit-il. Massimo Castagnari lui a ainsi montré qu’il gardait sa carte dans sa poche. Il a vendu des Mengascini :de bons instruments simples, efficaces mais plus lourds; il en vend encore quelques diatoniques, mais surtout des chromatiques. Il vend aussi des Beltuna, chromatiques et diatoniques, très bons mais classiques et lourds. En deux rangs, aussi des Baffetti pour ceux qui aiment le sud de l’Italie, et des Paolo Soprani. En trois rangs, également des Weltmeister.
L’accordage
Les clients demandent le plus souvent du swing léger. C’est l’accordage standard des Viseur. Pas mal aiment l’accordage sec. Ce qu’on demande le moins, c’est le trois voix musette. Question tonalités, c’est surtout le Sol/Do mais pas uniquement. Des Italiens de Belgique originaires de Sardaigne ou de Sicile veulent du Fa/Si bémol pour jouer uniquement les musiques traditionnelles de leur région. Les Néerlandais demandent surtout du Do/Fa, avec un peu plus de trémolo pour la musique chantée.
L’accordage, c’est tout en finesse, il faut avoir l’oreille. Quand on accorde pendant toute une journée, on a parfois besoin de l’instrument électronique pour bien se remémorer une fréquence, mais l’instrument n’est pas toujours capable de “lire” l’accordéon dans les aigües et dans les graves. Et puis, chaque accordéon est différent, certains sont plus faciles que d’autres. Il faut que ça sonne bien, c’est le plus important. Avec certains artistes, l’accordage est plus interactif: “tu le veux comme ça ?”.
En guise de conclusion
Iwein a rencontré à Castelfidardo un accordeur de 82 ans qui lui a dit : “moi aussi, j’apprends encore tous les jours.Viens voir dans mon atelier”. “C’est un état d’esprit”, nous dit-il, “il faut beaucoup de patience, cela manque dans notre monde aujourd’hui. Et je ne veux pas de Mercedes : c’est impossible dans ce métier si tu veux être honnête. Il ne faut pas espérer devenir rapidement riche. Mais je mène une vie agréable, je fais beaucoup de chouettes rencontres. C’est logique, puisque les gens viennent pour leur plaisir!”
Contact :Sauvegardestraat 172870 Puurs-Ruisbroek
ouvert le samedi de 10hà 17h saufjours de festivals
sur rendez-vous du lundi au vendredi
tél 03/866 47 57
e-mail info@accordeons-viseur.com
web: www.accordeons-viseur.com
(paru dans le Canard Folk de novembre 2015)