Jeudi 9 mai 2002 : Journée de l’épinette au MIM

Le rêve est devenu réalité : toute une journée de rencontre, d’échanges et de concert autour de l’épinette, organisée au MIM, Musée des Instruments de Musique à Bruxelles.

Depuis l’ouverture du nouveau musée dans les anciens bâtiments de l’Old England à Bruxelles, Wim Bosmans, collaborateur scientifique pour la musique traditionnelle, rêvait de rassembler les différents aspects d’un instrument populaire, l’épinette. D’autres rencontres de ce type avaient déjà été organisées en France et en Wallonie autour de l’épinette.

En vrac, rappel des différentes expositions, rencontres et concerts autour de cet instrument.

Octobre 1982 à Zuydcoote (Nord) (F) à l’initiative de Jacques Leininger et Patrice Gilbert.
Mai 1984 et juin 1985,  » Rencontre internationale de l’épinette à Fougerolles (Haute-Saône) (F) 1
Octobre 1989 à Gentinnes (Brabant wallon) (B) à l’initiative d’André Deru et Thierry Legros. 2
Septembre 1992 à Mons (Hainaut) (B) exposition organisée par Jean Bertiaux sur l’épinette boraine. 3
Mars 1993 à Borzée (Luxembourg) (B) lors d’un stage, exposition et concert. 4
Avril 1997 à Hazebrouck (Nord) (F) exposition et concert sur l’épinette du Nord. 5
Septembre 1997 à Socourt (Vosges) exposition et concert  » Epinette des Vosges et d’Europe « .
Et enfin, le 9 mai 2002,  » Journée de l’épinette au MIM  »

La matinée a été consacrée à la présentation par les invités de la tradition de l’épinette dans leur région d’origine.

photo de groupe ds musiciens

 

 

 

 

 

 

 

L’épinette en Flandre.

Depuis une trentaine d’années, le groupe flamand  » Jan Smed  » dont font partie Wim Bosmans et Ritteke Demeulenaere est actif en Belgique et ailleurs, non seulement par les concerts, mais aussi par les recherches sur le terrain ou dans les archives.

L’épinettiste du groupe, Ritteke, a rappelé ces années de collectage. Dès les années soixante, Hubert Boone découvre un instrument inconnu encore joué en Brabant flamand appelé  » DE VLIER « . C’est ce nom que reprendra Hubert pour son premier groupe de musique traditionnelle. Ses recherches seront regroupées dans un livre 6 malheureusement épuisé.

En Flandre occidentale, on parlait plutôt de  » SPINET « , tandis que dans la région d’Aarschot (Brabant flamand), on l’appelait  » KRABKAS  » (ce qui veut dire  » caisse à gratter « , onomatopée qui résume assez bien l’estime que l’on porte à l’instrument. 7)

Comme il n’existait pas de nom générique en Flandre pour désigner l’instrument, Hubert Boone et Wim Bosmans décidèrent dans les années 1960-70 de lui donner le nom employé aux Pays-Bas, c’est-à-dire  » HOMMEL  » (qui veut dire  » bourdon « ).

Wim nous a fait écouter quelques enregistrements de collectage avec le jeu traditionnel typique : main droite au plectre (ou ce qui en fait office) , main gauche avec bâton glissé ou soulevé.

L’enregistrement qui nous a le plus frappé est celui du  » Trio Quartier  » constitué par de longues épinettes d’1m20. Les instruments étaient accordés de la même façon, mais jouées à trois voix : octave supérieure – tierce en-dessous – et octave inférieure.

Les anciens de ce trio étaient persuadés d’être les seuls joueurs d’épinette au monde !

Ritteke a opté pour le jeu traditionnel, alors que beaucoup se tournent vers le jeu de doigts comme Guido Piccard . Elle justifie son choix par la place rythmique tenue par son instrument dans son groupe orienté vers la danse.

Elle signale aussi que, outre la collection d’épinettes du MIM, on peut voir à Gooik (Brabant flamand) dans la salle  » De Cam « , des instruments qui proviennent tous de la collection d’Herman Dewit.

L’épinette en Wallonie

Thierry Legros nous a présenté quelques épinettes typiques de sa collection.

Il rappelle les découvertes faites par Rémy Dubois au début des années septante, lorsque Hubert Boone, préparant son livre, lui demanda de faire des recherches du côté wallon. 8

Dans le Borinage, à Angre, dans le milieu d’ouvriers carriers ou marbriers, une photo célèbre témoigne que Joseph Baudour jouait de l’épinette.

Une maison du Bois à Saint-Ghislain vendait des épinettes en série avec une crosse en forme de lyre aux oreilles très découpées (que l’on surnomme Mickey à cause de cette caractéristique).

Une autre petite épinette dite d’Andenne fabriquée peut-être pour les bateliers se distingue par une grande ouïe près du chevalet, par une ornementation de décalcomanies et d’œillets en cuivre. Cet instrument possède parfois un résonateur.

Cette épinette a un clavier chromatique.

André Deru nous parle ensuite du jeu de l’épinette. Pour offrir des instruments jouables et de bonne facture, quelques luthiers se sont mis au travail à l’époque du revival. D’abord Rémy Dubois, qui fabriquait déjà des cornemuses, ensuite Jacques Fettweiss, aussi facteur de vielle.

La discrète épinette a parfois tendance à perdre de son aura dans les milieux folk.

En 1975, un premier stage d’épinette était organisé à Neufchâteau, dans le cadre de l’Académie d’été pour les musiques et danses traditionnelles.

Depuis 10 ans, plus aucun stage n’y est organisé pour cet instrument. A Borzée (La Roche), un stage par an y a encore lieu.

D’après André, l’épinette doit peut-être retrouver son caractère intimiste.

L’instrument connaît actuellement un engouement dans le milieu scolaire pour ses qualités didactiques.

André forme un duo d’épinettes avec Thierry depuis 1987 :  » Salon Ambroisine  » du nom d’un célèbre café d’Elouges (Hainaut) où les mineurs allaient jouer de l’épinette le dimanche.

L’épinette en Hongrie : la citera.

De façon assez surprenante, cette communication nous a été lue en néerlandais. En effet, Katalin Klopp, qui venait de Budapest avec son professeur Ferenc Borsi, apprend le néerlandais à l’université depuis un an.

A Obuda se trouve l’école de musique folk pour les différents instruments.

Dès le 12ème, 13ème siècle, on trouve le nom citera, mais on ne sait pas s’il désigne l’épinette que l’on connaît aujourd’hui.

La citera n’a pas de fond ; elle était à l’origine monoxyle et de forme rectangulaire avec des ajoutes pour les bourdons.

On trouve même des ouïes sur les éclisses.

La touche est double : diatonique et chromatique.

Traditionnellement, la main droite gratte les cordes avec un plectre tandis que la main gauche appuie sur la touche avec les doigts.

Une petite région de la Hongrie seulement emploie le bâton à la main gauche.

C’est Zoltan Kodaly qui a fait les premiers collectages. Environ 70 enregistrements anciens sont conservés.

L’épinette dans les Vosges

Christophe Toussaint a rappelé les caractéristiques pour les Vosges : la grande épinette de la région de Gérardmer avec comme témoignage un enregistrement ancien de Madame Marchal qui joue de façon régulière.

Et la petite épinette du Val d’Ajol dont le collectage montre le jeu tout en trémolos de Madame Laure Gravier.

Initié par son grand-père au travail du bois, Christophe a repris la lutherie. Il produit des instruments de qualité et fait des recherches en acoustique et en répertoire.

S’appuyant sur un ouvrage de Stig Walin  » Die Swedische Hummel « , il voudrait mesurer les touches d’épinette afin de classer les instruments d’une autre façon.

C’est un peu comme rechercher leur ADN !

Sachant qu’un demi-ton contient cent cents, une octave se compose de 1200 cents.

De là, calculer avec précision l’échelle de chaque instrument ancien grâce à l’ordinateur bien sûr ? Cela permet surtout de passer le temps pendant les longs hivers vosgiens!

L’épinette en Norvège : langeleik

Gunvor Hegge nous rapporte que la tradition a été bien conservée en Norvège depuis le 16ème siècle. La plus ancienne langeleik retrouvée est datée de 1524.

L’instrument possède une corde mélodique et plusieurs bourdons.

Une clé traverse aussi parfois l’éclisse. Au départ, ne possédant pas de colle pour le bois, les instruments étaient creusés dans un seul bloc.

Sur les instruments plus anciens, les éclisses sont droites généralement sauf sur les instruments de la région du Valdres où elles sont légèrement incurvées.

Quelques instruments possèdent deux chevilliers, l’un en tête, l’autre au talon.

On trouve aussi un petit capodastre de bois glissé sous les cordes qui permet de raccourcir la corde mélodique. Certains instruments anciens présentent une gamme avec tempérament particulier, ce qui laisse supposer une lutherie populaire.

Le jeu traditionnel se pratique aux doigts pour la main gauche et avec un long plectre de corne à la main droite.

Le battement de la main droite est toujours régulier tandis que la main gauche joue la mélodie en donnant le rythme.

La représentante pour la Norvège, Gunvor Hegge, interprète reconnue dans son pays, nous a fait une démonstration de son savoir-faire.

 

Toutes ces communications intéressantes ont aussi donné l’occasion de tenir en mains les instruments apportés par les intervenants .

Par contre, pas question de toucher aux instruments sortis exceptionnellement des réserves du musée. Trop peu de temps pour les contempler. Mais l’émotion était au rendez-vous.

Dommage que ces instruments n’aient pas pu être exposés plus longtemps pour notre plaisir…

Le soir, tous les épinettistes invités nous ont régalés d’un concert.

Le groupe Jan Smed nous a montré la place que peut prendre une ou deux épinettes dans un groupe musical traditionnel, aussi bien dans les airs mélodiques que dans la musique de danse.

Salon Ambroisine s’intéresse uniquement à la musique issue de Wallonie, de tradition ou des compositions récentes.

Gunvor Hegge nous a offert un concert empreint de sérénité, la tradition voulant que l’instrument se produise en solo. Le public a apprécié également le jeu avec des petites marionnettes sautillantes en même temps que le jeu de la main droite.

Christophe Toussaint a une fois de plus fait la démonstration de son jeu virtuose et de son humour décapant, même dans le choix des chansons.

Le Duo Katalin Klopp & Ferenc Borsi a donné un concert de citera au jeu parfois époustouflant de rapidité. Le chant de Katalin était assez impressionnant.

Ce fut le point d’orgue de cette superbe journée concoctée avec soin par Wim Bosmans et Ritteke. Nous avons eu aussi beaucoup de plaisir à nous retrouver entre amateurs de cet instrument. Manifestement, l’initiative n’avait pas touché un public plus vaste.

Il faut aussi mentionner le travail effectué par l’organisateur des concerts du musée, Jo Santy, qui s’est beaucoup investi dans cet événement.

Il reste la question posée par Christophe Toussaint : l’épinette est-elle un instrument masculin ou féminin ? A vous d’y répondre.

Mais n’oublions pas qu’en Norvège eut lieu le procès d’une femme accusée de danser avec le diable et de jouer du langeleik !

Guy et Micheline VANDEN BEMDEN-CASIER

 

1.voir articles AUBEPINETTE N7  » Fougerolles « . Canard Folk N 21 de septembre 1984.

et AUBEPINETTE N12  » Fougerolles – deuxième édition « . Canard Folk N31 de juillet 1985.

2. voir article AUBEPINETTE N14  » Première rencontre sur l’épinette « . Canard Folk N 79 de décembre 1989.

3.voir article AUBEPINETTE N15  » A la découverte de l’épinette boraine « . Canard Folk N 111 de novembre 1992.

4. voir article AUBEPINETTE N16  » L ‘Epinette en Wallonie et alentours « . Canard Folk N 117 de mai 1993.

5.voir article AUBEPINETTE N17  » L’Epinette du Nord « . Canard Folk N 162 de juillet 1997.

6.Hubert Boone, De hommel in de Lage Landen, Brussel, Instrumentenmuseum, 1976

7. Littéralement  » caisse à gratter « . Tout aussi péjoratif que le mot  » Lumpeninstrument  » (instrument de gueux) employé par M.Praetorius pour désigner le Scheitholt en 1619.

8.voir article AUBEPINETTE N9  » Rencontre avec Rémy Dubois « . Canard Folk N 27 de mars 1985.

(article paru dans le Canard Folk de mai 2002)