Les îles Féroé, Faroe Islands en anglais, sont un groupe de 18 îles situées à peu près à équidistance de la Norvège, de l’Islande et de l’Ecosse. On pense que des moines irlandais y habitaient au 7e siècle. Au début du 9e siècle, des agriculteurs norvégiens s’y établirent et donnèrent à la capitale le nom de Tórshavn, en l’honneur du dieu Thor. Jusqu’il y a une centaine d’années, l’agriculture était encore l’activité principale. Puis la pêche se développa rapidement.

On compte environ 45.000 habitants, dont plus du tiers dans la capitale. L’archipel, autonome depuis 1948, dépend du Danemark. On imagine bien que leur éloignement les a aidés à préserver leur identité, leur langue, leur culture. Ces derniers temps, on y met l’accent sur le développement de la culture. Ainsi, en 1995, on publia 155 livres en langue locale. Une académie de musique classique est née. Mais on dit que le paysage rugueux et la mer sauvage ont plus d’influence sur la musique …

 

 

 

 

 

 

 

 

Le chant à danser et les hymnes religieux furent introduits au moyen âge, et se sont développés localement. On divise la musique traditionnelle en trois catégories :

– la musique de danse, qu’on répartit elle-même en :

– kvæði, ballades héroïques

– vísur (pluriel de vísa), ballades populaires

– tættir (pluriel de táttur), chansons satiriques

– les chants religieux qui ont conservé, même après la Réforme, de nombreuses caractéristiques introduites au temps du catholicisme. On les appelle « Kingosálmar »

– les « Skjaldur », chants pour enfants, qui semblent avoir une origine différente, peut être moins influencés par la culture occidentale.

Ces différents types de musique ont un point commun : durant des siècles, ils furent uniquement chantés, sans instruments. On mentionne cependant la harpe dans le texte de certaines ballades. Jens Svabo (1746-1824) jouait du violon, et on a retrouvé un de ses recueils : c’est un des plus anciens exemples de musique instrumentale dans les îles Féroé. Les orgues furent introduits dans les églises principalement à partir de 1850, une date qui, avec la fin du monopole d’un comptoir de commerce, marque le début des influences culturelles extérieures. Le premier groupe de danse traditionnelle fut créé en 1952, pour combattre l’influence des danses modernes.

La musique de danse

Les trois types de musique de danse diffèrent par leur mélodie, leur texte et leur rythme, mais ils ont en commun « la » danse des Féroé : un cercle fermé, en se donnant les mains, face vers l’intérieur du cercle. Jens Svabo la décrit en 1782 :

Vous vous tenez les mains et faites un cercle, petit ou grand selon la taille de la pièce. Si la pièce est trop petite pour le nombre de danseurs, le cercle doit être cassé, comme ils disent : un côté du cercle est replié et, si l’espace le permet, le cercle est replié en plusieurs endroits. Les figures du cercle sont donc :

Les pas de la danse sont on ne peut plus simples. Vous faites deux pas vers la gauche, stop, déplacez le pied droit à côté du gauche, puis vers la droite, et ainsi de suite.

Le meneur mène la danse et démarre chaque strophe; c’est lui qui choisit parmi les variantes du texte et de la mélodie. Les autres danseurs le supportent et chantent aussi le refrain. Les ballades sont souvent dramatiques; leur longueur, le bruit des pas, les visages qui repassent devant vous font qu’un sentiment intense de communauté se crée.

Il existe bien quelques autres danses, plus récentes, adaptations de danses de bal européennes, qui sont dansées avant ou après la danse traditionnelle.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Les kvæði, ballades héroïques de type scandinave, constituent la plus grande partie de la musique de danse. Les strophes sont caractérisées par des répétitions de notes (récitatif), alors que les refrains sont plus variés mélodiquement. Les mélodies sont souvent modales. Le rythme des strophes est généralement 4 + 3 (7 temps), et le refrain a un autre rythme. Par contre, la danse est formée de 6 temps. Il y a donc polyrythme : la mélodie se décale par rapport à la danse, sans que cela ne gêne les danseurs. Au 19e siècle, on commença à noter les textes des ballades. On arriva ainsi à recueillir en un volume quelque 44.000 strophes, ce qui est remarquable si on considère qu’il y avait environ 5.000 habitants à cette époque.

Les vísur, ballades populaires, sont soit des ballades danoises à thème chevaleresque, soit des ballades légères composées localement, soit des ballades modernes en 3 temps.

Les tættir, chansons satiriques initialement composées dans le même style que les kvæði, traitent d’une situation politique ou de thèmes plus personnels comme une nouvelle mode vestimentaire. Elles reprennent souvent la mélodie d’une chanson connue.

Les chants religieux sont tout à fait différents : grande diversité mélodique, mélismes, rythme libre, intervalles inférieurs à un demi-ton … une série de ces caractéristiques disparurent petit à petit au profit de mélodies modernes plus simples, avec l’introduction des orgues. Notons que ces hymnes étaient chantés non seulement à l’église, non seulement le dimanche à la maison, mais aussi au départ et au retour de la pêche.

Enfin les skjaldur, chants pour enfants, sont considérés par l’auteur comme une tradition ethnique sans influence européenne. Les plus simples sont pentatoniques, et les autres dépendent largement de ces cinq notes de base.

M.Bauduin, d’après Traditional music in the Faroe Islands, par Føroya Skúlabókagrunnur, édité par Tutl, 85 pages avec nombreuses partitions, accompagné d’un cd.

Vous trouverez dans la rubrique « Musique » la partition de Fípan Fagra, une ballade héroïque.

 

La maison de disques Tutl

Créée en 1977 autour d’enregistrements faits notamment par le groupe Spælimenninir, la maison de disques est la propriété collective de musiciens et de compositeurs. Elle est active dans différents genres musicaux (y compris jazz, rock, classique, gospel, …) et promeut les échanges internationaux. Les musiciens partent en tournée en Europe et en Amérique. Les disques sont disponibles dans différents pays via des distributeurs (pas en Belgique) ou par internet. Tutl produit une quinzaine de nouveaux cd chaque année. En voici quelques-uns présentés ci-dessous.

L’adresse : Reynagøta 12 FR-100 Tórshavn, tel. +298 314815, fax +298 314815
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Alfagurt ljóðar mín tunga (Tutl SHD 16)

Ceci est le cd qui accompagne le livre « Traditional music in the Faroe Islands ». On y trouve 26 morceaux représentatifs des différents genres. Le premier air est un táttur où le rythme des pas des danseurs vous envoûte durant douze minutes : on pense immanquablement à la Bretagne, comme pour « Fipan Fagra », une ballade héroïque de seize minutes. Mais le plus étonnant, ce sont les hymnes religieux. Il y a là de surprenantes mélodies qui, combinées à la liberté de rythme du groupe de chanteurs, dégagent un parfum antique qu’on a du mal à suivre en lisant la partition. Par contre, les skjaldur ressemblent bien à des chansons pour enfants, notamment des berceuses. Mais peut-être est-ce dû au fait qu’on sait que ce sont des chants pour enfants ? Ces mélodies avaient peut-être d’autres fonctions jadis. N’achetez pas le bouquin sans le cd, vous passeriez à côté de l’interprétation. C’est du folklore, certes. Uniquement chanté, sans instruments.

Harkaliðið (Tutl SHD 53)

Deux hommes, deux femmes : quatre voix, une guitare enjouée, un rythme entraînant. N’était la langue, on comparerait volontiers la première composition à de la bonne chanson française. L’impression perdure avec la deuxième, qui est plus romantique, plus latine. Puis vient la touche locale, sans instruments, avec un swing très accentué, un élan très fort. Avec « Katrin », on assiste à un mélange inédit de Féroé et d’Irlande, grâce au whistle. Il faut dire que le groupe a invité Hamish Bayne, Derek Moffat et Ian McCalman. Un très joli instrumental « Stigum Fast » sonne comme une jig nordique et finit par être appuyé par de puissantes vocalises : excellent ! On reste dans les sonorités celtiques avec une ballade « Eitt kvøldi do sila », avant de retrouver le style du début. Spontanéité, simplicité et chaleur caractérisent ce disque. On aimerait bien comprendre les paroles.

Spælimenninir : Rekaviður / Hinvegin (Tutl SHD 7/10)

Formé en 74 par six musiciens bardés d’expériences diverses, ce groupe puise dans les traditions nordiques mais aussi (un peu) au Québec et aux Shetland. Un « Reinlender » norvégien sonne quasi autrichien, un galop danois sonne anglais. La jolie « Birgittas vals » a un rythme très appuyé; une polska au violon nous emmène en Suède avant de passer au « Reel de Montréal », avec ambiance appropriée. Parsemé de quelques chansons et airs lents dont la très belle mélodie « Midnight on the Water » à l’accordéon, ce disque dégage une atmosphère de bal folk. On a souvent envie de danser, c’est sûr. Violons, flûtes, accordéon, mandoline, guitare, piano et basse tantôt scandinaves, tantôt germaniques, tantôt anglo-saxons ne chôment pas. Cela date en fait de 84 et 85 (deux LP réédités en un cd), mais cela reste tout à fait d’actualité.

Spælimenninir : Fløð og Fjøra (Tutl SHD 18)

Enregistré en 96, ce cd est de la même veine et de la même qualité que le précédent. Le livret présente ici quelques notes en anglais. Une puissante schottische « Konvulsionslåt » composée par un Suédois, une mazurka danoise, une valse suédoise, deux excellentes polkas et une jolie valse composées par le guitariste Ivar Bærentsen, des reels du Shetland, des jigs de Nouvelle-Angleterre (où l’on reconnaît un certain M.Dumollet) et d’autres airs tout aussi dansants sont entrecoupés de brèves versions instrumentales de chansons pour enfants. Ajoutons que le groupe a déjà effectué des tournées des deux côtés de l’Atlantique.

Enekk : Andlit hins tigandi (Tutl SHD 13CD)

Un premier morceau planant, un deuxième avec une rythmique nonchalante, un troisième plus animé où l’on a l’impression que le chanteur a quelque chose à dire : la diversité est bien présente avec ce groupe essentiellement électrique (guitares, claviers, basse, batterie) même si l’on entend aussi une guitare acoustique ou les longues notes d’un accordéon, ou plus rarement une flûte. La musique est sage et jolie. Le titre du cd (enregistré en 92) signifie : le visage du silencieux.

Færd (Tutl SHD 55)

D’emblée, on est séduit par la richesse et le professionnalisme de ces cinq musiciens qui apportent une touche moderne à des airs traditionnels qu’ils apprécient visiblement. Le chant « Broder myrder Søster » soutenu par les longues notes de l’accordéon à clavier piano et par la rythmique de la guitare enchaîne sur une entraînante suite où le sax soprano, l’accordéon et le violon se disputent la mélodie. Un bref air très romantique au sax, une suite au rythme sombre, une nostalgique compositions « Davy », un reel des Shetlands, une ballade « Svend Felding » très prenante, une très jolie marche reprise, comme plusieurs autres airs, du recueil de Svabo … Les belles mélodies ne sont pas rares, les arrangements sont bien pensés, les sonorités plairont à un large public. On reconnaît les noms du violoniste Peter Uhrbrand et de l’accordéoniste Karen Tweed. On ne peut que vous recommander chaudement ce disque, enregistré en 2002. Il mériterait d’être un tube !

Kristian Blak et Yggdrasil : Yggdrasil (Tutl HIJF 88)

Blak arrange des airs traditionnels et compose pour le groupe jazz Yggdrasil (piano, sax, flûtes, contrebasse, batterie) et la chanteuse Eivør Pálsdóttir. Après quatre longs chants éthérés, on entre plus facilement dans le sujet avec la ballade « Led er din Sang », propice à la danse, nettement plus dynamique. Vient la plage titulaire, une composition instrumentale pour piano; puis « Oxberg », une véritable explosion où les vocalises reprennent un air de violon. Des vers de Shakespeare sur deux compositions, un hymne religieux accompagné à la contrebasse et une douce chanson de kayak clôturent cette réalisation éclectique.

(Cet article a paru dans le Canard Folk de juin 2003)